Critiques // « La Nuit du train de la Voie Lactée » d’après Kenji Miyazawa à Sartrouville

« La Nuit du train de la Voie Lactée » d’après Kenji Miyazawa à Sartrouville

Jan 28, 2011 | Aucun commentaire sur « La Nuit du train de la Voie Lactée » d’après Kenji Miyazawa à Sartrouville

Critique d’Anne-Marie Watelet

Kenji  Miyazawa  est un écrivain toujours très apprécié au Japon, dont plusieurs récits sont traduits en français. Mort prématurément (1896 – 1931), il fut un humaniste engagé et un voyageur solitaire en quête de vérité et d’absolu. Oriza Hirita (1896 – 1931), qui a adapté ce conte connu de tous les enfants japonais, est aussi auteur. Il travaille avec des artistes étrangers, et a reçu des prix importants, notamment pour sa pièce « Gens de Séoul » en 1998.

En voiture tout le monde, pour un voyage intersidéral dans l’infini ! Le train va partir pour le sommet du ciel !

© JM.Lobbé

C’est un enfant, comme dans les poèmes de Prévert, qui somnolait en rêvant dans la salle de classe. Alors Giovanni emporte dans son rêve le sujet de la leçon : le cosmos. D’ailleurs, c’est le jour de la Fête des Étoiles ! Et le voilà, lui, l’incompris solitaire, dans le train magique aux côtés de Campanella, son seul ami ! De-ci, de-là, ils voguent dans la Voie Lactée – Rivière du Ciel en japonais -, et comme dans le voyage du Petit Prince, ils rencontrent des drôles de personnages : un gardien de phare, un savant, un chasseur d’oiseaux, le contrôleur du train…Et à chaque fois, ils apprennent quelque chose, des prémices de vérités sur la vie, sur le bonheur.
Leurs innocentes questions touchent déjà à la métaphysique, plongés qu’ils sont dans cet espace infini, avant d’être séparés par le flux de la Rivière. Pourront-ils atteindre le bout du ciel ?

© JM.Lobbé

Les deux personnages – et comédiennes, pourraient aussi bien être des marionnettes.
Car nous sommes dans un univers enfantin (les tristes réalités n’en sont pas effacées pour autant) : sur le plateau, des cubes de couleurs vives sur lesquels s’assoient et sautent les élèves; des dessins naïfs d’une grande beauté artistique (sans mièvrerie, genre collection « Martine »), représentant la maison et la campagne de Giovanni, sur écran immense, en fond de plateau. En outre, ces enfants vivent une aventure initiatique dans un monde réel, mais extraordinaire (parce qu’inaccessible à l’humain) et ils ne seront plus les mêmes après. Ainsi, Mélissa Barbaud et Priscilla Bescond avancent dans la voie lactée à petits pas, prudentes, posant des questions, leurs sens tendus vers l’inconnu et les yeux agrandis par l’étonnement, un peu comme des marionnettes. Les expressions du visage et leur gestuelle, tout en retenue, sont en accord avec la portée poétique du texte. Un jeu à tous points de vue  juste et nuancé, qui donne envie d’emboîter le pas à ces gamins.

© JM.Lobbé

Ce que nous faisons, avec plaisir et émotion, aidés par la prouesse technique sur le plan scénographique.
La vidéo du fond nous renvoie la vision émouvante de la nuit constellaire, silencieuse, animée de quelques fulgurances lumineuses. C’est magnifique, reposant, et nous sommes ramenés à notre propre mesure d’humain : bravo !
Les autres personnages, ceux que croisent Giovanni et Campanella, tous, hormis la maîtresse d’école, sont joués par Nine de Montal, ce dont on se réjouit, tant sa dynamique sur scène est époustouflante. D’abord élève sûr de lui, jouant les gros bras, les cheveux « en vrac », elle passe ensuite, avec brio, à l’archéologue rêveur, avec de doux sourires – surprenante ! – lorsqu’elle répond à la question de Giovanni sur le vrai bonheur; et soudain, elle apparaît en grand deuil, grave, tête haute, lorsqu’elle est le père de Campanella… Une véritable acrobatie gestuelle et une capacité de métamorphoses instantanées dans l’expressivité du visage !
Oriza Hirita a bien conduit les comédiens, on sent d’ailleurs, derrière ce travail, une forte complicité entre eux, et Nine de Montal a su, avec lui, donner la touche d’exagération naïve qui sied aux personnages des contes, comme celui du contrôleur  pressé et autoritaire, dont elle prend la voix forte et la raideur amusante du corps. Les deux adolescentes comédiennes sont parfaites, et montrent, chacune avec sa personnalité, une belle assurance (et on leur souhaite une longue vie théâtrale !). Bref, un parcours sans faute !

Ce spectacle poétique et profond pour des âmes jeunes, où se mêlent le rêve et le réel, est à voir en famille. Le réel n’a rien de pesant ni d’habituel, cela grâce à l’imaginaire de l’auteur venu d’une autre culture.

La Nuit du Train de la Voie Lactée
D’après : Kenji Miyazawa
Adaptation et mise en scène : Oriza Hirata
Scénographie, costumes, vidéo : Kimie Nakano
Lumière, régie : Jérôme Delporte
Traduction : Hélène Morita
Avec : Mélissa Barbaud, Priscilla Bescond, Reina Kakudate, Nine de Montal

Du 25 janvier au 2 avril 2011
Dans le cadre du festival
Odyssées en Yvelines

Théatre de Sartouville – Centre Dramatique National
Place Jacques Brel, 78 500 Sartrouville – Réservations 01 30 86 77 79
http://www.theatre-sartrouville.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.