Critiques // « La Noce » de Tchekhov au Théâtre des Abbesses

« La Noce » de Tchekhov au Théâtre des Abbesses

Oct 21, 2010 | Aucun commentaire sur « La Noce » de Tchekhov au Théâtre des Abbesses

Critique d’Audren Destin

Le metteur en scène Vladimir Pankov présente au Théâtre de la Ville une relecture de Tchekhov mêlant les acteurs-musiciens de son collectif SounDrama et l’ensemble de la troupe du Théâtre Ianka Koupala de Minsk. Comme le note Béatrice Picon-Vallin dans le livret du spectacle, cette adaptation va sans doute dérouter. C’est effectivement le cas, bien que l’on ne puisse nier la formidable énergie qui déborde de la scène.

© DR

C’est toujours relativement excitant de voir une pièce de Tchekhov (ou d’un autre auteur russe de la même trempe) monté par un metteur en scène russe avec des acteurs russes. On se dit qu’il y a là un vrai savoir faire, quelque chose qui forcément nous échappe à nous autres cartésiens, quelque chose de cette âme slave, de cette mélancolie, de ces états d’âmes typiquement russes, de ces personnages excessifs. Mais est-ce justement parce qu’il en est tellement imprégné, de cette âme russe, que le metteur en scène, Vladimir Pankov, nous emmène exactement là où on ne l’attend pas ?

Cette adaptation est le fruit d’une collaboration entre de jeunes artistes indépendants et une troupe national académique (le Théâtre Ianka Koupala de Minsk). C’est donc un projet qui, dans sa nature même, a pour vocation d’être innovant et expérimental. Pourquoi expérimental ? Rappelons-le encore une fois, La Noce est une pièce courte, en un acte, inspirée notamment du vaudeville français, dont le rythme est extrêmement rapide et concentré et dans laquelle les personnages sont en état d’ébullition. Tchekhov se sert du mariage pour mettre en relief les travers de sa société, la mesquinerie et l’hypocrisie. En faisant la satire d’une fête de mariage et de ses codes, selon lesquels, semble t-il, le paraître doit toujours l’emporter sur la sincérité, Tchekhov fait tomber les masques et s’amuse à montrer le grotesque de chaque chose.

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Dans cette comédie délirante, Vladimir Pankov a choisi d’appuyer fortement (lourdement) sur le côté absurde de la langue et des situations. Dans le texte de Tchekhov, peu après le début de la pièce, la mariée compte les couverts sur la table : « 1,2,3,4 ». Dans la mise en scène, ce comptage de couverts est transformé en paroles d’introduction, répétées plusieurs minutes de façon un peu obsessive. C’est un exemple parmi d’autres du type de transformation opérée par Vladimir Pankov dans sa mise en scène. D’un texte extrêmement court, il a monté un spectacle de deux heures, ce qui en soit n’est pas un problème mais qui dans ce cas précis ne me semble pas réellement justifié.

Certes il y a la fête, la musique, l’ivresse, l’exubérance, un peu de cette âme slave, qu’on retrouve également dans le texte et la mise en scène, mais point trop n’en faut. En allongeant les périodes de délires et d’ivresse, les situations absurdes, le chant, les danses, la musique, Vladimir Pankov a me semble-t-il étiré la pièce jusqu’au point de lui faire perdre son sens et sa justification ou au moins son efficacité. D’un texte extrêmement concentré, il est parvenu à quelque chose de vague et approximatif, comme si il avait extrait l’essence de l’œuvre original et l’avait mélangé à huit litres de vodka. Expérimental donc. Néanmoins les comédiens sont magnifiques, les musiciens aussi et le tout ne manque ni de style ni de beauté.

La Noce
– en bielorusse et en russe, surtitré français –
De : Anton Tchekhov
Mise en scène : Vladimir Pankov
Par : Cie Soundrama Studio-Moscou, Cie Théâtre Yanka Koupala
Direction artistique : Maxime Obrezkov
Chorégraphie : Elena Bogdanovitch
Costumes : Natalia Jalobova, Sergeï Agafonov
Lumières : Nikolaï Surkov
Avec : Gennadï Ovsiannikov, Gennadï Garbouk, Nikolaï Kiritchenko, Arnold Pomazan, Zinaïda Zubkova, Natalia Kotchetkova, Tamara Nikolaevna-Opiok, Svetana Anikej, Andrej Gladkij, Igor Denisov, Alla Dolgaja, Andreï Drobych, Dmitrï Yessenevitch, Svetlana Zelenkovskaya, Mikhail Zouy, Eugenia Kulbatchnaya, Tamara Mironova, Alexandre Moltchanov, Olga Nefiodova, Igor Petrov, Nina Piskareva, Sergeï Rudenia, Irina Rymorova, Anna Khitrik, Viktoria Tchavlytko, Andreï Zavodiuk
Théâtre d’art dramatique de Moscou A. S. Pouchkine :
Musiciens Soundrama Studio : Alexandre Goussev, Olga Diomina, Vladimir Kudriavtsev, Taras Kutsenko, Vladimir Nelinov, Sergeï Rodiukov
Orchestre Vitalï Alechkevitch, Gennadï Vichniakov, Leonid Klounny, Andreï Saponenko, Andreï Senojensky
Sous la direction de : Vladimir Kuriana
Musique : SounDrama, Extraits de «Svadebki» d’Igor Stravinski
Le spectacle est mené par Nelli Samonova

Du 19 au 23 octobre 2010

Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses, 75 018 Paris
www.theatredelaville-paris.com

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