Critiques // « La Mélancolie des Dragons » de Philippe Quesne au Rond Point

« La Mélancolie des Dragons » de Philippe Quesne au Rond Point

Fév 12, 2010 | Aucun commentaire sur « La Mélancolie des Dragons » de Philippe Quesne au Rond Point

Critique de Camille Hazard

Qui n’a jamais rêvé, enfant, de construire un château avec quelques branches d’arbres, de jouer à la princesse ou au prince avec quelques bouts de tissus… ?

Un jeu d’enfants

Dans La mélancolie des dragons, Philippe Quesne met en scène quatre garçons d’une trentaine d’années, mélancoliques, qui tentent par tous les moyens de recréer un monde enfantin, simple, clos, protecteur, où tout serait magnifique sans que rien ne soit vraiment réel…

L’histoire est très simple : Quatre garçons, tombés en panne à la lisière d’un bois, font la connaissance d’Isabelle qui passant par là, est venue leur donner un coup de main. Le temps se passe, ils sympathisent ; ces gaillards se lancent alors dans un grand déballage de dialogues et de démonstrations pour présenter leur parc d’attractions mobile et portatif sous les yeux perplexes d’Isabelle.

Le début de la pièce commence de façon étonnante et risquée pour le metteur en scène. Quatre gars et un chien attendant dans une voiture en panne, ils parlent sans que jamais on ne parvienne à les entendre, boivent de la bière, mangent des chips et écoutent du rock à s’en crever les tympans ! À partir de cet instant, le metteur en scène nous offre deux point de vue différents sur la situation et dans le déroulement de la pièce. Les personnes qui, malgré le comique de cette scène, sont touchées par l’ennui et l’inertie de ces jeunes, les suivront comme personnages centraux. Si au contraire, le public ne partage absolument pas leurs états d’âme, alors le fil conducteur sera pour lui, Isabelle, personnage qui agit en autre comme témoin.

Ces deux points de vue sont creusés, approfondis, et se complètent, c’est une pièce à deux voix.

Les faux semblants

La création de Philippe Quesne, offre bien plus qu’un questionnement sur la mélancolie ; on retrouve les grands thèmes universels comme : l’idée de communauté, la solitude, le rêve, la poésie, le sacré, l’absurde, et beaucoup d’autres…

Une des grandes réussite du spectacle, est de montrer, de questionner, d’interpeller les gens autour de ces thèmes fondateurs en n’en parlant jamais directement sur scène : la banalité des dialogues et du jeu des acteurs, laissent entrevoir un monde riche et poétique. C’est de cela que naît le comique (si présent dans la pièce) ; l’opposition entre ce qu’il veut dire et ce qu’il montre visuellement.

On peut parfois penser en allant au théâtre que le décor a trop d’importance par rapport à la mise en scène ou au jeu des acteurs. Ici, le décor a toute sa place et sert l’histoire ; il faut dire que le metteur en scène Philippe Quesne a commencé sa carrière en tant que scénographe pour le théâtre et l’opéra après des études aux Arts Décoratifs de Paris.

Il pose la question du décor au théâtre : la scène est recouverte de neige, dans le fond, des arbres également enneigés, une vraie voiture, une remorque, quantité d’ustensiles…Le décor est très bien réalisé, crédible et l’on y croit. Mais, au fil de la pièce, les personnages mettent en lumière, devant nous, tout ce qui est faux et tout est faux !

Un comédien ira même jusqu’à soulever la fausse neige de coton pour brancher une prise électrique sous la scène, alors que toute la pièce se déroule en extérieur !

P. Quesne montre des personnages qui s’enferment continuellement dans « leur propre théâtre » : une voiture, un boxe, une forêt… Ils passent de l’un à l’autre en recherchant toujours des endroits clos ; là où ils ont le contrôle sur leur vie fantasmée.

« Ces grands mecs », avec leurs cheveux longs, leur dégaine nonchalante et leur style de rocker, nous émeuvent et nous attendrissent car ils ne vivent que dans l’enfance. On comprend assez vite qu’ils ne se sont pas adaptés dans la société et que toute leur vie est composée de ce que cette même société veut enterrer chez les gens : rébellion, enfance, poésie, rêve, faiblesse…

Sur scène, une opposition est encore créée. Aucun personnage n’affiche d’émotion : on la voit, on la sent, celle-ci est présente tout au long de la pièce mais, en essayant de se protéger, ces personnages adoptent le masque insipide de la politesse, de la distance, de celui qui avec une grande confiance établit des plans, de celui des « grandes personnes ».

La scénographie est en même temps spectaculaire, pour montrer les rêves sans limites de ces garçons et en même temps désuète, parfois ringarde pour signifier cette fois, qu’ils imaginent ces rêves à partir de rien, en ayant rien, et que cela relève juste du pouvoir de l’imagination.

Le moment le fort et le plus poétique de la pièce : Isabelle est montée sur un escabeau pour « dominer » le parc d’attractions, les autres s’activent, chacun devant leur engin de spectacle : une fontaine réalisée avec un tuyau, une machine à bulles, une machine à fumée et la musique tonitruante depuis l’autoradio. Mais la magie opère : tous ces éléments  créent un univers fantasmagorique, qu’Isabelle ressent, elle se laisse aller un instant à ce rêve : dans un ciel, entourée de nuages blancs avec ces fines bulles qui rebondissent autour d’elle.

Ces quatre garçons perdus, mélancoliques, et qui provoquent le rire par leur naïveté ont finalement gagné, ils ont recréé un monde, leur monde, devant nous, l’histoire d’un instant.

La Mélancolie des Dragons
Conception, scénographie et mise en scène : Philippe Quesne
Avec : Isabelle Angotti, Zinn Atmane, Rodolphe Auté et Hermès, Cyril Gomez-Mathieu, Émilien Tessier, Tristan Varlot, Gaëtan Vourc’h
Extraits musicaux : AC/DC, André Prévin, Colleen, John Cage, C.Jérôme, Iron Maiden, Howe Gelb, Joseph Haydn, Wagner, Guillaume de Machaut, Scorpions, Armando Trovaioli

Du 10 au 21 février 2010

Théâtre du Rond-Point
2bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75 008 Paris
www.theatredurondpoint.fr

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