À l'affiche, Critiques // « La Maison des chiens », de Klim d’après Sophocle, Théâtre Monfort-MC93 hors les murs, Le Standard Idéal

« La Maison des chiens », de Klim d’après Sophocle, Théâtre Monfort-MC93 hors les murs, Le Standard Idéal

Avr 08, 2015 | Commentaires fermés sur « La Maison des chiens », de Klim d’après Sophocle, Théâtre Monfort-MC93 hors les murs, Le Standard Idéal

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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Expérience radicale, foudroyante, dont on ne ressort pas vraiment indemne, « La Maison des Chiens » est une traversée troublante dans l’univers concentrationnaire le plus abject et brutal. Pourtant on ne voit rien, ou si peu. La peur, l’effroi, traverse le spectateur devenu le témoin désarmé d’un système carcéral où l’homme en proie à la violence, la peur au ventre, tente de survivre. On ne voit rien ou si peu, perchés que nous sommes au-dessus de cette cage dans laquelle des femmes et des hommes courbés, puisqu’ils ne peuvent tenir debout dans cet enfer métallique, s’entassent et survivent, mais ce que l’on devine, ce que l’on ressent et ce que l’on entend fait vaciller notre esprit alarmé, aux aguets. Notre imagination galope, envisage le pire, dans cet espace étroit, obscur. Des ordres brefs aboyés qui rythment la journée entre se lever, manger, se coucher. La violence physique et morale qui régit cet enfer, la domination des plus forts, du kapo, la soumission des plus faibles, la folie qui guette, l’espoir qui s’éteint. Et puis soudain dans cet univers sans dieu où des chants traditionnels parfois s’élèvent et rappellent le pays natal, entre deux hymnes orduriers qui signent une révolte étouffée, une poésie poignante surgit, impromptue, incongrue, bouleversante et absurde : un tapis de fleur sur lequel s’endorment ces chiens qui furent des hommes. L’émotion vous arrache soudain. On se dit alors qu’on a tout vu, que s’en est assez. Qu’on arrête là. Qu’on arrête ça.

Ce n’était que la première partie.

La seconde nous voit à notre tour courbés, à notre tour enfermés dans cette cage, dans l’obscurité. Des bruits, des chants s’élèvent au-dessus de nos têtes, on ne voit rien là encore, ou si peu, quelques points de lumières éclairent des visages blafards, des corps vêtus de noir, étranges prêtres pour une cérémonie qui ne l’est pas moins. C’est un chœur qui pleure l’homme et l’abandon de dieu. Des femmes et des hommes qui se lamentent dans le chaos du monde, survivent à la guerre, libres et opprimés tout à la fois, et dans la servitude d’une souffrance expiatoire devenue absurde. C’est la destinée de l’homme depuis sa création est-il dit. Sans doute, mais dieu est mort probablement. Et nous là, dans cette tombe, ce tombeau, cette fosse devenue commune, à entendre ces chants qui vous renversent, ces voix qui pleurent, à se tordre le cou pour apercevoir dans une étrange perspective cette foule en douleur, on mesure tout à coup, saisi, le poids d’un homme libre. Mais cette liberté-là ne se mesure pas aux barreaux contre lesquels on se cogne…

On songe évidemment à l’Ukraine. Cette pensée infuse cette création. Mais le théâtre de Vlad Troitskyi, ici rude et dépouillé, puise dans Sophocle, une question universelle, qui dépasse la problématique de l’Ukraine, pour interroger la condition de l’homme et de son oppression, dénoncer tout système oppressif, politique ou religieux, et poser en filigrane la question de la liberté de l’individu, de son libre arbitre. Un théâtre engagé qui engage aussi le spectateur devenu voyeur impuissant, chœur muet, témoin d’une tragédie dont il est aussi l’enjeu. C’est toute la force et la radicalité de cette création de ne pas être uniquement dans la démonstration, la dénonciation mais de nous impliquer dans le processus de réflexion par ce dispositif scénique audacieux, violent même, qui ne nous laisse aucun échappatoire…

La Maison des chiens
Texte de Klim d’après Sophocle
Adaptation et mise en scène de Vlad Troitskyi
Scénographie, Vlad Troitskyi et Dmystro Kostyu-Minskyi
Musique, Vlad Troitskyi, Roman Iasynovskyi et Solomiia Melnyk
Avec Yevhen Bal’, Vasyl’ Bilous, Nantalka Bida, Maksym Demskyi, Tatyana Havrylyuk, Roman Iasynovskyi, Ruslana Khazipova, Vira Klimkovetska, Solomiia Melnyk, Semen Mozgovyi, Andrii Palatnyi, Nikita Skomorkhov, Tetyana Vasylenko, Vyshnya, Zo

Le Montfort Théâtre
Parc Georges Brassens
106 rue Brancion
75015 Paris
Du 7 au 18 avril 2015, 20h
Réservations : 01 56 08 33 88
www.lemontfort.fr

MC93/ Standard Idéal
Réservations : 01 41 60 72 72
www.mc93.com

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