Critiques // « La Maison » d’après Marguerite Duras au Lucernaire

« La Maison » d’après Marguerite Duras au Lucernaire

Avr 19, 2011 | Aucun commentaire sur « La Maison » d’après Marguerite Duras au Lucernaire

Critique d’Anne-Marie Watelet

Bienvenue à la table de Marguerite Duras !

De longue date, “amie littéraire” de l’écrivain-scénariste-cinéaste, Jeanne Champagne s’est « embarquée pour une longue traversée de son oeuvre ». Cette fois, ce sont des extraits de son livre « La Vie Matérielle », dans lequel Marguerite Duras répond à Jérôme Beaujour lors d’entretiens.

© Lot

Elle nous convie, côté cuisine, à écouter Marguerite penser, se souvenir, autour de la maison, de la condition féminine; la soupe aux poireaux, la mère, les photos, la sauce pour les boulettes, la maternité… Le temps est suspendu, on se laisse charmer par la fluidité de cette voix, entraînés dans son univers intime.

« Le lieu de l’utopie même, c’est la maison créée par la femme. » Sa maison à Neauphle. Pour la mère, la femme, c’est le lieu où l’on intéresse son enfant à la vie, où l’on “archive le temps” à conserver les bribes d’objets qui accompagnent notre vie. C’est l’espace rassurant, propice à cuisiner pour la famille et les amis; à écrire, avec le même plaisir, le même acharnement. Tout en épluchant les légumes, elle pique ça et là dans les souvenirs de son enfance en Indochine. Tantôt enjouée et drôle, tantôt plus grave ou rêveuse, mais jamais amère, Elle fait don de confidences et de réflexions avec amour. Cette parole, c’est le courant léger d’une rivière déjà éloignée de sa source, mais qui continue à creuser son chemin pour elle, pour nous. La solidité d’une roche que l’on reconnait chez l’auteur Duras, âpre dans ses exigences, doublée d’une tendresse, celle d’une femme encline au plaisir et au bonheur, celui des choses simples, qu’on ne sait plus voir ou reconnaitre.

Scénographie et mise en scène fidèles à l’univers durassien.

© Lot

Sur le petit plateau, seule trône la longue table champêtre. Bien à propos, des correspondances aux us et coutumes de l’auteur sont posées là : frais légumes en majesté (ils subissent les étapes de la future soupe poireaux-pomme de terre !), assiettes blanches, machine à écrire, petit transistor, petite lampe allumée, rose épanouie dans un verre et… du vin dans un verre. Belle image, belle intimité scénographique, animée de bouts de chansons passées, d’un doux air de violon. La comédienne Tania Torrens, cheveux gris coupés au carré, un beau visage auquel le temps n’a pas terni la malicieuse sérénité, parle sans effets de style ni emphase. Une diction claire et irréprochable, une voix calme, chantante parfois, rythmée avec subtilité selon le propos. De brèves respirations ajoutent au naturel et à l’impression de sincérité. Son regard, posé le plus souvent sur le public, invite au voyage. Sans imiter du tout Marguerite Duras, elle réussit à nous faire partager la parole de celle-ci, portée par le désir de transmettre l’amour de la vie.

Ce beau texte est fait de moments à soi, pour soi et pour nous. Jeanne Champagne l’a mis en scène avec une sensibilité personnelle et en même temps si proche de celle de son “personnage” – heureuse alchimie toute féminine ! On quitte la salle léger, avec, en tête, l’envie d’être heureux, d’être bien, tout simplement,

La Maison
D’après : Marguerite Duras, « La Vie Matérielle »
Mise en scène : Jeanne Champagne
Scénographie : Gérard Didier
Lumières : Franck Thevenon
Son : Bernard Valléry
Avec : Tania Torrens

Du 30 mars au 21 mai 2011

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs, 75 006 Paris – Réservations 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

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