Critiques // « La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres » d’après Flavius Josèphe

« La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres » d’après Flavius Josèphe

Jan 07, 2010 | Aucun commentaire sur « La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres » d’après Flavius Josèphe

Critique de Bruno Deslot

Le « paradoxe joséphien »

D’après le récit documenté de Flavius Josèphe, la « Guerre des juifs », Amos Gitai restitue une mise en voix narrative de ce témoignage unique de l’époque romaine du Ier siècle.

Représentatif de l’homme ou de l’historien, ce nom hybride dont la tradition l’a affublé, Flavius Josèphe, reflète toutes les contradictions du personnage. La « Guerre des juifs », est un récit fouillé et précis, retraçant la campagne des juifs, dont Josèphe est devenu le chef des troupes, contre les Romains, Titus et Vespasien, en Galilée. Une rude bataille est livrée et Josèphe, fait prisonnier, assiste au siège puis à la chute de Jérusalem en 70. Dès lors, Flavius Josèphe s’installe à Rome et établit le récit magistral de la guerre jusqu’au siège de Massada en 73. Plus de neuf cent personnes se donnent la mort, refusant de se soumettre aux Romains. L’auteur de la « Guerre des juifs » fait donc figure d’énigme dans cette sombre défaite, car il appartient aux deux camps. De par sa naissance, son éducation auprès des Pharisiens et ses combats, il fait partie d’une grande famille juive et mène la guerre en Galilée contre Rome. Fait prisonnier, lors de la chute de Jérusalem, Josèphe devient romain par nécessité. La description de ses œuvres lèvent le voile sur le « paradoxe josèphien », interrogeant le parti-pris de Josèphe au moment du conflit. Ses sentiments étaient-ils sincères ou opportunistes ?

La guerre est apatride

Amos Gitai apprécie la dimension actuelle du propos et interroge sa résonance contemporaine dans un dialogue entre tradition et modernité par une mise en voix éclectique. Chaque tonalité de la partition « joséphienne » est portée par des voix disant le texte selon sa langue et sa propre logique. Français, hébreu, anglais, arabe se croisent de manière polyphonique pour restituer le champ lexical de la violence. La guerre est apatride et se meut en un Cerbère indomptable qui répand la haine et développe l’esprit conquérant des peuples soumis à la loi du plus fort. Une mère désespérée parcoure le plateau à la recherche de ses enfants, affamées ou morts, pendant que le chef des rebelles juifs témoigne de son combat et le général romain, de ses avancées. Tous ces personnages sont des voix, investissant un espace épuré, dégagé de toutes les contraintes matérielles d’un spectacle théâtral, observant les lois de la narration, du témoignage et du récit. Un échafaudage en métal, sur lequel un homme frappe afin de composer les résonances de l’intrigue, quelques pupitres accueillant la venue du lecteur, des chaises placées en désordre, deux fauteuils couverts d’une étoffe claire, des réceptacles rouillés d’où jaillissent des flammes, réchauffent les restes d’un vaste champ de bataille. Au centre, un bureau sur lequel repose un manuscrit, Jeanne Moreau en tourne les pages, elle est la voix de Flavius Josèphe. Précise et bouleversante, elle restitue le sens de chaque mot dans son acception la plus noble. Elle parcoure les méandres d’un récit poignant sans aucune théâtralité, mais sa voix et ses inflexions suffisent à faire trembler un empire. Jerome Koenig est la voix de Vespasien en anglais. Habillé d’un costume militaire contemporain, assis sur l’un des deux fauteuils, il raconte son combat. La lecture débute par un champ yiddish qu’interprète Menachem Lang avec une virtuosité déconcertante et une puissance émotionnelle qui exprime toute la douleur d’un peuple, des peuples soumis aux dévastations de la guerre. Une mise en espace qui pratique l’économie de moyens, pour mieux faire entendre le texte de Flavius Josèphe qui accompagne Amos Gitai depuis bien longtemps et pour lequel il en avait proposé une adaptation, voilà une quinzaine d’années, à Gibellina, puis à la Biennale de Venise. Ce texte, d’une actualité brûlante, invite à la méditation et il n’est pas nécessaire de se concentrer sur les actions scéniques, mais bien sur cet oratorio dont la portée signifie l’aspect cyclique de l’Histoire dans sa dimension la plus sombre.

La Guerre des files de lumière contre les fils des ténèbres
D’après : Flavius Josèphe, « La Guerre des juifs »
Adaptation et mise en scène : Amos Gitai
Conseiller artistique : Chloé Obolensky
Conseiller littéraire : Marie-José Sanselme
Texte bibliques et hébraïques : Rivka Markoviski-Gitai
Lumière : Jean Kalman
Costumes : Moïra Douguet
Direction musicale : Shahar Even Tzur
Avec : Jeanne Moreau, Jerome Koenig, Mireille Perrier, Shredy Jabarin, Amos Gitai et les musiciens Shahar Even Tzur, Menachem Lang, Tamar Capsouto, Alexeï Kotchetkov, Yahel Doron

Du 6 au 10 janvier 2010

Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon, 75006 Paris
www.theatre-odeon.fr

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