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La Grande Ourse, écriture Penda Diouf, mise en scène Anthony Thibult, MC93, Bobigny

Déc 14, 2024 | Commentaires fermés sur La Grande Ourse, écriture Penda Diouf, mise en scène Anthony Thibult, MC93, Bobigny

© Christophe Pean

 

ƒƒ article de Nathalie Tambutet

Cette création reconsidère la question de l’émancipation des femmes dans nos sociétés en délitement. Ce combat trans-générationnel est toujours d’actualité sur tous les continents, dans ces sociétés de la régression, au sein desquelles la répression opère à coup d’injonctions, d’humiliation, de communautarismes religieux, numériques, de genre, de mémoire.

Comment rester digne d’être soi ? Comment retrouver sa force de vie ? Comment gagner et préserver sa liberté ? Comment suivre ses rêves ?

La Grande Ourse est une pièce éminemment politique, qui révèle les dérives des réseaux sociaux et de la vidéosurveillance de notre monde.

Focalisation des regards dans cette nouvelle salle de la MC93 sur l’espace scénique, qui ressemble à un ring de boxe. Au centre, un plateau de carrés de carrelage blanc, qui réfléchissent la lumière. Un espace épuré : un tabouret de formica jaune trône côté jardin et juste un meuble de cuisine vert. Ce plateau est posé sur des rails. Dans une semi-obscurité, l’espace de la musique live, qui fait partie intégrante de la pièce, un révélateur des émotions. Le formica nous rappelle les années 60 et que ce combat de l’émancipation date de longues années.

Nous sommes dans la cuisine d’un couple. La femme est partie chercher son fils à la sortie de l’école à la place de son mari, qui est à un entretien d’embauche. Moment de tendresse entre une mère et son fils. Ce dernier lui tend les bonbons offerts par sa maîtresse. Puis ils se rendent à la bibliothèque pour chercher un livre sur « l’ours brun », sujet de l’exposé de l’enfant. Rentrée chez eux, la mère décide de faire des crêpes pour le dîner, son fils en raffolant. Son mari est embauché pour être animateur dans un magasin. Il fera « le poulet ». Quand tout à coup, ça sonne à la porte. Entre un policier qui demande à la femme si elle reconnaît le papier de bonbon. Ce papier a été laissé sous un banc. Cela constitue un délit de laisser un déchet à terre. Elle ne se souvient pas puis accuse son fils, qui lui sort le papier de sa poche. Circonstance aggravante pour la mère qui accuse son fils. Elle est convoquée au commissariat pour une garde à vue. Sa faute est ce papier de bonbon tombé au sol. C’est l’élément perturbateur du récit entre conte, fiction et réalisme par le langage employé, blagueur, analogique. Au commissariat, elle est acculée par les questions et accusations. Une scène banale de garde à vue et d’abus de pouvoir. Elle est considérée comme une délinquante par fatigue, c’est-à-dire qu’elle a fait preuve de négligence face à toutes les normes qu’impose la société. Le jugement la condamne à l’assignation à résidence, comme les exilés et à l’humiliation publique, à l’instar de ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Le crescendo de la musique nous plonge dans ses émotions. Elle est blessée, à terre. Gronde en elle la colère : c’est « la nuit dans sa tête ». Elle choisit la révolte : son cœur lui dit d’être vivante.

Comment rester vivant dans un monde normé, condamnant à l’effacement des individus ? Nous sommes au-delà de l’émancipation des femmes, au cœur de ce que nous vivons. Comment rester vivant, humain ? La musique accompagne le spectacle et scande l’enchainement des péripéties.

Un griot surgit, homme de parole et mémoire vivante. Il raconte comment certains tentent de rester vivant au travers de petits délits. Une femme surgit et chante les différents préjugés de tous les continents sur les femmes. Elle représente les :« On-dit », la parole sans sujet, les paroles qui parlent sur, sans se soucier des conséquences. Elle est la voix des réseaux sociaux qui parlent de tout, sur tout et de rien. Ces « On-dit » sont un enfermement. La tension monte et se referme sur cette femme dans la cuisine, par le jeu des lumières surgissant de caméras de vidéosurveillance, qui cernent cette pièce. Cette mère, elle, a décidé de se battre, elle écrit sans cesse des pages et des pages à même le sol de sa cuisine et choisit de se relier à la nature pour retrouver son instinct, pour gagner sa liberté et transmettre son histoire, l’histoire de ses origines, de l’émancipation des femmes mais aussi celle constitutive des hommes.

Nous suivons par analogie le fil de l’histoire au travers du papier de bonbon et de l’ours. Cette mère représente la Grande Ourse, la métamorphose de Callisto en constellation par représailles de l’épouse de Zeus. Constellation au-dessus de nous dans le ciel comme guide et présence rassurante. Constellation qui nous rappelle nos pouvoirs, celui de la parole et de l’imaginaire qui nous rendent humain et constituent nos capacités de transformation.

 

© Christophe Pean

 

La Grande Ourse : Écriture Penda Diouf

Mise en scène : Anthony Thibault

Avec : Armelle Abibou, Prescillia Amany Kouamé, Hovnatan Avedikian, Maïka Louakairim, Marcel Mankita, Adrien Michaux et Aho Ssan

Création musicale : Aho Ssan

Scénographie : Salma Bordes

Costumes : Marguerite Lantz

Création lumière : Pierre Langlois

Voix off : Fatima Aïbout

Régie générale : Maureen Cléret

Durée : 1h20

 

Du 07 au 17 décembre 2024 

Rencontre avec Penda Diouf : samedi 14 décembre à 19h

 

MC93 Bobigny

9, boulevard Lénine

93000 Bobigny

www.mc93.com

01 41 60 72 72

 

 

 

 

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