© Pascal Victor
ƒ article de Denis Sanglard
La fuite ! de Mikhaïl Boulgakov est un cauchemar en huit songes hallucinés, où un monde bascule, l’Histoire emporte avec elle le destin brisé d’un ordre ancien vaincu, jeté sur les routes de l’exil, de la Crimée à Constantinople, de Constantinople à Paris, de Paris à Lyon. C’est là à Lyon, dans la petite chambre d’Olga sa grand-mère que Macha Makeïeff entend ces récits, « cauchemars éveillés », d’un vieux monde fracassé, dont il ne reste rien d’autre qu’une poignante et inconsolable nostalgie. Ces gens-là sont les personnages de La Fuite ! une société en déroute de russes blancs, civils perdus, militaires vaincus, tous aux abois dans un pays en plein chaos devant l’avancée de l’Armée Rouge, les bolcheviks, mais avec une rage insolente de vivre, de revanche malgré la folie, les trahisons, les lâchetés, les amours impossibles et contrariées dans cette marche forcée vers un avenir inconnu et incertain. Macha Makeïeff empoigne l’œuvre de Mikhaïl Boulgakov qu’elle s’approprie, nostalgie chevillée et mélancolie en sautoir. Elle est sur le plateau, fillette qui de la chambre d’Olga, bascule dans cette Russie enfiévrée, observe ce désastre. C’est un vaudeville grinçant mené tambour battant. La troupe est au diapason qui vous enlève tout ça sans barguigner dans un jeu burlesque et volontaire, frôlant l’outrance, propre à la satire, à la farce. Ou à l’âme russe. On traverse ainsi la Russie, de monastères en gares perdues, on passe par Sébastopol, pour échouer à Paris dans une cavalcade effrénée, au rythme d’une fuite éperdue. Cela va vite, très vite. La scénographie mouvante épouse cette traversée bousculée et chaotique. Il y a une formidable énergie qui traverse le plateau, un sentiment d’urgence chez les acteurs. Macha Makeïeff a le souci du détail et malgré une certaine épure – relative – dans la scénographie, ici et là quelques objets incongrus sont autant de subtiles signatures. C’est donc une très belle mise en scène, de la belle ouvrage. Au risque aussi de lasser par ce rythme échevelé et ce jeu volontaire, en force, parfois caricaturale. L’impression quelque fois fugace d’être à la traîne, peinant à suivre. Et puis seulement voilà, la nostalgie est un poison lent qui parfois vous ensuque à votre insu, vous aveugle. On aurait aimé il est vrai une lecture plus critique. Le texte de Mikhaïl Boulgakov est formidable, d’une charge féroce, mais à travers l’épopée intime de ces russes blancs, ce brûlot interdit par Staline et qui vit la disgrâce de l’auteur auprès du régime soviétique, c’est toute une interrogation sur le pouvoir, la terreur exercée qui est posée. Rien de manichéen. Encore moins de nostalgie, pas encore, pas le temps. Macha Makeïeff regarde cela avec ses yeux d’enfant et le filtre des récits d’Olga sa grand-mère mais c’est fausser le véritable point de vue de Boulgakov. C’est un songe mais les songes sont aussi des cauchemars. Et ce cauchemar-là, cet enfer, qui annonce aussi celui de l’auteur, on ne le devine qu’à peine, enseveli par une mise en scène certes réussie mais myope sinon aveugle, autocentrée. La force de La Fuite ! c’est d’être encore d’actualité au regard de la géopolitique actuelle. Boulgakov avait tout dit, déjà, de l’humiliation de l’exil, de la persécution. Avait anticipé même. Macha Makeïeff étouffe malheureusement, avec brio certes et sans arrière-pensée, la modernité brûlante de l’auteur, le fige dans un passé qui n’est plus, une nostalgie qui est un contre-sens.
La Fuite ! De Mikhaïl Boulgakov
Adaptation, mise en scène, décor, costumes Macha Makeïeff
Lumières Jean Bellorini
Collaboration Angelin Preljocaj
Avec Pascal Reneric, Vanessa Fonte, Vincent Winterhalter, Thomas Morris, Geoffroy Rondeau, Alain Fromager, Pierre Hancisse, Arthur Deschamps, Sylvain Levitte, Karyll Elgrichi, Emilie Pictet… et en alternance Sarina Dian Siriczman, Tess Genre, Noémie labaune, Salomé narboni.
Conseillère à la langue russe Sophie Bénech
Création sonore Sébastien Trouvé
Coiffure et maquillage Cécile Kretschmar
Assistante à la mise en scène Gaëlle Hermant
Assistant lumières Olivier Tisseyre
Assistante aux costumes et Atelier Claudine Crauland
Assistante à la scénographie et aux accessoires Margot Clavières
Intervenante en scénographie Clémence Bezat
Régie générale André Neri
Iconographe et vidéo Guillaume Cassar
Régisseurs plateau Ruddy Denon, Julien Ynesta
Fabrication du décor Ateliers du TNP Villeurbanne, stagiaires Pavillon Bosio (Monaco)
Production La Criée – Théâtre national de Marseille
Coproduction Théâtre Gérard Philipe – Centre dramatique national de Saint-Denis
Du 29 novembre au 17 décembre 2017
Du lundi au samedi à 20h00, dimanche à 15h30
Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Seine saint Denis
59 boulevard Jules Guesde
93200 Saint Denis
Réservations 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilipe.com
reservation@theatregerardphilipe.com
En tournée
Théâtre Liberté – Scène Nationale de Toulon 21 et 22 décembre 2017
Théâtre Les Célestins à Lyon 9 au 13 janvier 2018
Théâtre du Beauvaisis 5 et 6 avril 2017
Le Quai, Centre dramatique national d’Angers 19 et 20 janvier 2018
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