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La Force du destin, de Giuseppe Verdi, direction musicale de Jader Bignamini, mise en scène de Jean-Claude Auvray, Opéra national de Paris (Opéra Bastille)

Déc 19, 2022 | Commentaires fermés sur La Force du destin, de Giuseppe Verdi, direction musicale de Jader Bignamini, mise en scène de Jean-Claude Auvray, Opéra national de Paris (Opéra Bastille)

 

 

© Charles Duprat

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

 

Etrange sensation que de passer de l’ambiance légère, naïve et optimiste de 42nd Street à la gravité et au pessimisme extrêmes de La Force du destin qui est sans doute l’œuvre la plus sombre de Verdi. Tout est dit dans le titre de l’opéra en quatre actes, emprunté pour partie au drame romantique espagnol qui l’a inspiré, Don Alvaro o la fuerza del sino, du duc de Rivas. Alors que suite à la commande du tsar Alexandre II, l’Opéra de Saint-Pétersbourg lui laissait toute liberté (relative, car la première idée de Ruy-Blas fut découragée par la censure), dans le choix et le traitement du sujet, le compositeur italien, au sommet de sa gloire, jette son dévolu en pleine crise existentielle et alors qu’il vient d’être élu député, sur un texte n’offrant aucune autre échappatoire que le désespoir. Face à la faute, le destin s’abat impitoyablement, quelques soient les tentatives d’y échapper, constructives ou mortifères. Après sa création en 1862 en Russie, Verdi insatisfait remit l’ouvrage sur le métier,
faisant notamment reprendre le livret pour une seconde version créée à Milan sept ans plus tard et jouée depuis et qui épargne le public d’un élément dramatique de plus (le suicide d’Alvaro).

L’intrigue est simple. Leonora et Don Alvaro s’aiment et veulent se marier. Le père de la jeune fille réprouve cette union. Alors que le couple allait fuir, il s’oppose et après avoir reçu par accident une balle mortelle du jeune homme, maudit sa fille avant de mourir. Le destin implacable conduira des années plus tard à la mort du frère, Don Carlo di Vargas, qui s’était promis de venger la mort de son père, à la suite d’un duel qu’il a provoqué avec Don Alvaro devenu prêtre et découvrant Leonora, faux ermite, recluse dans sa culpabilité et la douleur, que son frère tue dans un dernier sursaut de vengeance.

Ce n’était pas la Anna prévue qui chantait le rôle tragique de Leonora en ce soir de première de La force du destin à l’Opéra Bastille. Anna Netrebko n’a gardé, pour des raisons de santé que les trois dates suivantes déjà prévues et s’est faite remplacer par Anna Pirozzi qui devait lui succéder à partir du 24 décembre, faisant ainsi son entrée plus tôt que prévu à l’Opéra national de Paris où elle ne s’était jamais produite. La prestation de la soprane italienne fut à juste titre appréciée car parfaitement irréprochable, même si l’on n’a pas trouvé la fougue électrisante habituelle de sa camarade russe.

Le ténor new-yorkais Russell Thomas qui faisait ses débuts également à l’Opéra de Paris, propose un Don Alvaro très convaincant, même si un peu timide au premier Acte (ce qui n’était peut-être dû qu’à l’effet « première ») et dans l’effort visible au dernier Acte face à Ludovic Tézier tout en puissance ; le solo de la première scène du troisième Acte était toutefois une pure merveille de finesse vocale et de sensibilité, malgré les toux incessantes pendant tout son solo dans le public, qui ont malheureusement altéré l’écoute de ce qui était proche d’un moment de grâce.

Le baryton Ludovic Tézier qui a remporté le succès de l’applaudimètre incarne un Don Carlo di Vargas haineux à souhait et vocalement parfait. Le reste de la distribution ne peut souffrir aucun reproche. On mentionnera en particulier Nicola Alaimo qui prend manifestement un malin plaisir de jeu dans les facéties peu charitables de Fra Melitone, offrant une projection de sa voix de baryton très réussie sur ce plateau quasi nu. Ferruccio Furlanetto en Padre Guardiano est une belle basse (parfois un peu faible dans les aigus), extrêmement émouvant dans son rôle qui est la bienveillance incarnée. Elena Maximova est pétillante dans le rôle de Presiosilla qui lui va comme un gant.

Une fois n’est pas coutume, les chœurs dirigés par Ching-Lien Wu sont radieux dans les seuls airs joyeux de la partition (le banquet-fête ; la soupe populaire) et n’ont jamais été aussi touchants dans les passages plus intérieurs (le chœur des moines par exemple), interagissant idéalement avec l’orchestre (mention spéciale pour la clarinette), sous la baguette de Jader Bignamini.

La mise en scène de Jean-Claude Auvray créée en 2011, reprise en 2019 est intemporelle, épurée et soignée, immaculée mais sans surprise, à part le premier changement de décor. La scène inaugurale de La Force du destin dans la demeure familiale aux luxueux lustres, chandeliers et tableaux imposants, qui comme un leurre (dont on ne dévoilera pas le mécanisme) s’efface en un instant et laisse place à un plateau au plan incliné quasiment nu créé l’étonnement. Pour le reste, quelques belles images (le tissu de la Vierge dont se drape Leonora après ses vœux ; les soldats en clair-obscur sur fond bleu) sont presque trop léchées, grâce notamment au beau travail de lumières, car elles peuvent parfois sembler en décalage avec l’aridité du drame et en raison des interactions insuffisantes entre les personnages pour créer une empathie à la hauteur des épreuves qu’ils traversent. Le choix de transposer l’action à l’époque du Risorgimento qui est celle de la composition est louable, même si ce n’est pas de la plus grande audace. L’argument se prêterait très bien à une contemporanisation poussée, au regard des deux thématiques principales que sont le rapport à l’altérité et au fait religieux.

« La paix, la paix, mon Dieu… ».

© Charles Duprat

 

 

La Force du destin

 

Musique : Giuseppe Verdi

Livret : Francesco Maria Piave

Direction musicale : Jader Bignamini

Mise en scène : Jean-Claude Auvray, réalisée par Stephen Taylor

Décors : Alain Chambon

Costumes : Maria Chiara Donato

Lumières : Laurent Castaingt

Chorégraphie : Terry John Bates, réalisée par Paolo Ferri

 

Avec :  Anna Pirozzi, Russell Thomas, Ludovic Tézier, Ferruccio Furlanetto, Nicola Alaimo, Julie Pasturaud, Carlo Bosi, James Creswell, Elena Maximova, Florent Mbia, Hyun Sik Zee

 

Durée 3h50 (2 entractes compris)

 

La Force du destin

Opéra national de Paris – Opéra Bastille

Place de la Bastille – Paris 12

 

Les 15, 18, 21, 24, 27, 30 décembre 2022, à 19h

Vu le 12 décembre, soir de première

 

www.operadeparis.fr

 

 

 

 

 

 

 

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