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Critique • « La Femme Silencieuse » de Monique Esther Rotenberg au Petit Hébertot

Juil 07, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « La Femme Silencieuse » de Monique Esther Rotenberg au Petit Hébertot

Critique de Djalila Dechache

Londres 1934, un appartement simple et dépouillé, pas tout à fait dépoussiéré des draps qui recouvrent encore les meubles et quelques valises, il pleut derrière les vitres, des livres dans une sobre bibliothèque, un homme fume et attend. Il attend sa secrétaire, dénichée par Friderike, sa femme, qui va arriver d’un instant à l’autre. Il s’agit de Charlotte-Elisabeth Altmann, dite Lotte. Bientôt il va siroter en sa compagnie un cognac 1908 rapporté de France.
Cet homme est Stefan Zweig (1881 – 1942), poète, écrivain, dramaturge, biographe et journaliste autrichien, il a fui son pays l’Autriche pour cause de drame qu’Hitler impulse et que l’on sait. Privé de sa nationalité, il sera un réfugié politique comme les autres.

Peu à peu, sa liaison s’installe pleine de complicité avec sa secrétaire qui est vive, spontanée, jeune et pleine d’entrain. Elle connaît l’œuvre de Zweig et lui en parle sans détours. Il est soutenu par le compositeur Richard Strauss qui lui commande le livret de son opéra La Femme Silencieuse. L’opéra ne sera d’ailleurs présenté que trois fois à Dresde devant un parterre d’officiers nazis, puis censuré.
Comme Érasme en son temps sur lequel il a écrit une biographie, Stefan Zweig refuse de choisir, de se plier et privilégie la neutralité et la conscience individuelle à l’asservissement à une idéologie politique totalitaire.
Entre-temps, il a rompu avec Friderike qui « ne lui fera pas cadeau de son silence » suite à la découverte de sa liaison avec Lotte qu’il épousera par la suite.
Tant qu’il est à Londres, « j’ai besoin de silence, je me méfie du bruit » dit-il, il entreprend une biographie de Marie Stuart, qui selon lui, est « un personnage si rare qui a une capacité de vie réelle à se concentrer en un instant ».
Durant l’été 1936, alors que la guerre d’Espagne gronde, Zweig accepte l’invitation de se rendre au Brésil, laissant derrière lui une Europe en plein trouble. Il est accueilli avec faste et honneurs. Lui-même est subjugué par la beauté de ce pays.
C’est avec Lotte qu’il quitte l’Angleterre, au cours de l’été 1940 juste avant le début de bombardements allemands sur Londres. Ses amis le nomment “le pessimiste- né”, il sait qu’il quitte l’Autriche sans grand espoir d’y revenir. Il a ce côté visionnaire, implacable et juste.
Malgré cela, il se donnera la mort le 22 février 1942 avec Lotte à qui il avait demandé quelques années auparavant :  » Tu crois sincèrement que je peux encore concourir au bonheur ? ».

La pièce débute avec l’écriture de son texte dédié à Marie Stuart par sa secrétaire qui le tape directement sur une machine à écrire aux touches crépitantes. Stefan Zweig s’interroge à voix haute et bientôt sur une tonalité plus basse et c’est délicieusement que sa secrétaire lui demande à plusieurs reprises : « vous dictez ou vous parlez ? ».
Stefan Zweig doute et remet en question toute sa vie à coup de flashbacks. Issu d’une famille de la grande bourgeoisie, il a une éducation rigide et pesante. Son père lui offre pour son quinzième anniversaire un manuscrit de Mozart. A Vienne, centre de gravité de la culture européenne, il fera plus tard des rencontres décisives telles que Émile Verhaeren, Dostoïevski, Paul Verlaine, Romain Rolland, Sigmund Freud et bien d’autres.

Dans ce premier texte dramatique de l’auteur Monique Esther Rotenberg, on entend parfaitement bien la voix et la pensée de Stefan Zweig, incarné par le comédien Pierre-Arnaud Juin. Elle a réalisé un beau travail, fouillé et précis pour donner vie à Stefan Zweig. Et c’est réussi.

Le véritable exil, dira-t-il, est celui « d’être amené à penser comme eux », de ne plus être libre intérieurement ; il décide aussi comme acte de résistance absolue face « à l’imbécilité ambiante et aux discours officiels qui consument la pensée », de ne plus se servir de sa propre langue mais de parler les langues des ennemis déclarés de l’Allemagne, c’est -à- dire l’anglais et le français. Puis il dispersera les livres de sa bibliothèque, considérant comme vanité d’en posséder chez soi.

C’est toute une époque qui nous est proposée dans cette pièce aux multiples facettes, celle de l’intellectuel qui s’exprime et qui voyage énormément, celle d’un homme qui résiste de toutes ses forces face à l’occupant jusqu’à se déplacer d’une langue à l’autre, d’un monde à l’autre, qui assure une correspondance soutenue y compris avec sa femme « on s’informe pour ne pas se perdre de vue » et qui pense sans arrêt à un monde meilleur.
Les costumes, lumières et décors sont excellents et nous transportent dans le temps dans l’histoire, et les méandres des émotions d’un homme qui avance et qui cherche en projetant un monde à venir.
Grand observateur devant l’éternel, Stefan Zweig laisse non seulement une belle œuvre dense, mais des aphorismes, des pensées, des réflexions toujours d’actualité que ce soit dans le domaine du couple (« avec le temps, il y a une différence entre ce que l’on obtient et ce que l’on mérite d’avoir de l’autre »), des sentiments et du paradoxe de l’amour, du temps, et il a cette phrase magnifique :
« J’ai toujours préféré le provisoire qui dure longtemps au définitif qui s’épuise vite ».

Une forte envie s’empare de nous en sortant de la représentation : entrer dans l’œuvre de Stefan Zweig parce qu’on a vraiment l’impression de l’avoir approché au plus près, grâce également à une mise en scène efficace et au juste jeu d’acteurs signés de Pascal Elso.
Après le succès de quatre représentations exceptionnelles au Théâtre Adyar à Paris, la pièce a été créée au Théâtre du Petit Hébertot, à l’affiche du 7 juin au 10 juillet 2011.

La Femme Silencieuse
De : Monique Esther Rotenberg
Mise en scène : Pascal Elso
Assistante à la mise en scène : Sonia Sariel
Avec : Pierre-Arnaud Juin, Olivia Algazi, Corinne Jaber
Décors : Bernard Fau
Lumières : Franck Thevenon
Costumes : Caroline Martel

Du 7 juin au 10 juillet 2011

Théâtre du Petit Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles, 75017 Paris – 01 43 87 23 23
www.petithebertot.fr

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