f Article de Denis Sanglard
© Mathilde Olmi
Juin 1816, Mary Shelley, jeune mariée de 19 ans, au bord du lac Léman, invitée par Lord Byron, s’ennuie ferme. Le climat est déréglé, le temps est pourri. Byron propose à ses hôtes d’écrire des histoires à faire peur pour palier à la morosité. Voilà la genèse de Frankenstein, roman devenu mythique. Jean-François Peyret s’empare de tout ce matériau, le roman, les conditions de l’écriture, le vie de Mary Shelley, ajoute en échos les avancées de la science en ces temps d’innovation et de découvertes, invite la mère de Mary Shelley –féministe et morte en couche-, et fait théâtre de tout ça. Procédant comme le roman par emboitements, trois récits qui se recoupent, trois points de vue, et par collages, retour par exemple sur la soirée où Mary Shelley, mise au défi, cherche l’inspiration, une dramaturgie résumée par le metteur en scène comme « d’inspiration algorithmique (…) par métaphore ou analogie. » A l’image de la composition musicale aléatoire de Danièle Ghisi qui illustre cette création. Belle idée sur le papier qui sur le plateau s’avère des plus délicate à mener. En vrai cela part un peu dans tous les sens, genre puzzle éparpillé. On a quelque peu de mal, contrairement à Victor Frankenstein avec sa créature, à recoller les morceaux épars. Certes le titre explicite le propos et interroge sur notre propre monstruosité. Mais que vient faire ici Rimbaud, aussi monstrueux était-il dans son genre, Macbeth dont la monstruosité théâtrale n’est plus à prouver, et surtout le témoignage poignant de cette ouvrière de l’usine Wonder lors de la reprise du travail après une grève de trois semaines en juin 1968 ? Dispensables. Et la vie ici manque singulièrement, il manque une étincelle qui animerait véritablement l’ensemble. L’ennui grignote peu à peu cette création et nous ronge. Les comédiens sont à l’aguet, sujets de cette expérience, improvisent également et font lien entre les séquences. Jacques Bonaffé, formidable cependant, donne tout ce qu’il peut, face à Jeanne Balibar quelque peu absente à elle-même. Victor Lenoble, le docteur Frankenstein, peine à exister, peu à l’aise dans l’improvisation, voir écrasé dans l’exercice par ses partenaires. Joël Maillard, la créature, compose une créature sans artifice autre qu’une torsion du dos et des bras, enveloppé dans un imperméable et en chaussettes. Pas plus mal et bien malin tant le personnage est référencé. Jean-François Peyret brasse et mouline son thème plus attentif au final à la structure, l’algorithme appliqué au théâtre, qu’à son sujet. Et c’est elle malheureusement qui finit par l’emporter. Jean-François Peyret invente une chimère, un monstre composite. Ce qu’est après tout le théâtre. Mais là, avec cette création, le monstre échappe à son créateur au risque de notre désolation…
La fabrique des monstres ou Démesure pour mesure
D’après Frankenstein ou le Promethée moderne de Mary Shelley
Conception Jean-François Peyret
Composition musicale Danièle Ghisi-commande Ircam-Centre Pompidou
Avec jeanne balibar, Jacques Bonnaffé, Victor Lenoble et Joël Mailllard
Réalisation en informatique musiqcale Ircam Robin Meier
Scénographie Nicky Rieti
Lumière Bruno Goubert
Collaboration dramaturgique Julie Valero
Costumes Maïly Leung Chen Soo
Assistanat mise en scène Solwen DuéeDu 8 au 13 juin 2018 2018
Vendredi, mardi et mercredi à 20h30
Samedi à 18h30, dimanche à 16h30MC93-Maison de la Culture de Seine Saint Denis
9 boulevard Lénine
93000 Bobigny
M° Ligne 6 / Bobigny-Pablo Picasso
Réservations 01 41 60 72 72
www.mc93.com
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