Critiques // « La Cuisine d’Elvis » de Lee Hall au Lucernaire

« La Cuisine d’Elvis » de Lee Hall au Lucernaire

Juil 16, 2010 | Aucun commentaire sur « La Cuisine d’Elvis » de Lee Hall au Lucernaire

Critique de Bruno Deslot

Un drame familial

Une recette bien singulière pour une cuisine dans laquelle on chante autant que l’on déchante, le célèbre scénariste de Billy Elliot, Lee Hall, nous livre dans cette pièce un drame familial, un huis-clos léger à l’humour cru, aussi dérangeant que réjouissant.
Un humour que l’on pourrait même qualifier de vulgaire tant les situations sont scabreuses, cruelles et largement servies par la stupidité de certains personnages comme Franck, un garçon tombé là par hasard et ramené par la mère, Mam, un soir de beuverie ! Là, c’est la maison de Jill, la jeune fille de 14 ans qui adore cuisiner et reproche à sa mère de se laisser aller aux exubérances d’une femme qui cherche à oublier la situation familiale dans laquelle elle s’enlise : un mari/père paralysé suite à un accident de voiture, Dad, qui ne peut plus parler mais se remémore à la perfection ses années de gloire pendant lesquelles il « faisait Elvis » costumé à la perfection ! Une mère qui refuse de s’arrêter de vivre pour cultiver les légumes, le sien, celui posé là en fauteuil roulant, le légume pailleté en question. Stuart, l’amant jeune et sexy, superviseur de gâteaux chez Marks & Spencer, et enfin Jill, la jeune fille de 14 ans qui porte à bout de bras cette histoire qu’elle nous raconte, cette histoire qui file la métaphore du bonheur malgré tout, comme dans ces « Kitchen-sink dramas » des années cinquante, faisant référence aux pièces d’Arnold Wesker. Des dialogues saignants, des personnages cruels les uns avec les autres et surtout des situations provocatrices… enfin juste ce qu’il faut lorsque Stuart, l’amant de la mère va devenir celui de la fille pour finir par masturber le père, une marque pour lui de profond respect ! Rien de bien profond, tout reste assez superficiel et lisse, ça glisse comme un pet sur une toile cirée !

Lorsque la mayonnaise ne prend pas !

70 minutes pour relever un défi : celui de réaliser une cuisine complexe avec des ingrédients pourtant simples, voilà ce à quoi s’attelle la Fabrique des petits hasards. Un intérieur de cuisine sombre aux murs de briques grises au centre duquel deux entrées sont ménagées, une table placée à jardin, un plan de cuisine à cour et le reste, le légume, planté là dans sa chaise roulante, la tête baissée vers l’avant. Nerveuse mais lucide, Jill s’oppose à une mère alcoolique, anorexique utilisant Stuart comme un sex toy qui, ne sachant pas très bien où il est tombé, sait rapidement s’immiscer dans les interstices de cette tragédie familiale. Les rôles s’inversent, la fille devient mère et inversement par le truchement d’un sexe, de quelques légumes et de standards bien connus d’Elvis Presley ! Oscillant entre boulevard et tragi-comédie, comme le dit très justement Régis Mardon, le metteur en scène, les comédiens sont sur le fil mais n’auraient-ils pas fallu une corde afin qu’ils n’en tombent pas ?
Les comédiens sont d’une grande justesse ce qui ne gâte rien, mais jouent en force des situations pourtant suffisamment explicites ou bien se soumettent à un retour au calme au moment où tout devrait voler en éclat ! Le texte expose très clairement l’opposition mère/fille ! Pourquoi en rajouter encore une couche ? Tout comme l’arrivée de ce membre conquérant, Stuart, qui achève de satisfaire les pulsions de toute la famille en jouant à fond la carte de la stupidité ! L’ensemble progresse avec nervosité et un rythme non négligeable mais passe à côté de toutes les subtilités de la pièce de Lee Hall, drôle, vivace, insolente et tout particulièrement subversive. Régis Mardon a-t-il pris le temps de la dramaturgie ? Le public non mécontent de cette aventure pense avoir assisté à une bonne pièce de boulevard avec juste ce qu’il faut de politiquement pas correct qui permet de dire « Il fallait le faire » !
La cible est-elle atteinte ?

La Cuisine d’Elvis
De : Lee Hall
Mise en scène : Régis Mardon
Avec : Anne Puisais, Benoît Thévenoz, Laurence Porteil et Eric Desré
Lumières : Thomas Jacquemart
Scénographie : Marion Thelma
Costumes : Louise-Alice Véret
Texte publié aux Editions de l’Arche, traduction Frédérique Revuz et Louis-Charles Sirjack

Jusqu’au 25 septembre 2010

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris
www.lucernaire.fr

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