Critiques // « La Celestine » de Fernando de Rojas au Théâtre des Amandiers

« La Celestine » de Fernando de Rojas au Théâtre des Amandiers

Mar 16, 2011 | Aucun commentaire sur « La Celestine » de Fernando de Rojas au Théâtre des Amandiers

Critique de Denis Sanglard

« La Celestine », de Fernando de Rojas, pièce “monstrueuse” espagnole publiée en 1499 clôt le moyen âge et ancre le théâtre espagnol dans la renaissance. C’est un chef d’œuvre du théâtre espagnol qui influencera jusqu’au théâtre français dont Corneille en est le plus bel exemple avant que la querelle des anciens et des modernes ne l’étouffe. Tragi-comédie, conte picaresque, farce donnant dans la démesure où la poésie côtoie le trivial c’est une œuvre hybride, foisonnante, passionnante. Comédie tragique de Calixte et Mélibée, écrite pour blâmer les amoureux fous, qui vaincus par l’appétit désordonné appellent leurs amis Dieu, et prévenir contre la turpitude des intermédiaires est le titre exacte de La Celestine et annonce le contenu. Calixte amoureux de Mélibée qui le repousse en appelle à la Celestine, maquerelle et sorcière, pour assouvir son désir, posséder Mélibée. C’est le début d’un engrenage infernal qui entraînera la perte de tous.

© Christian Ganet

C’est un univers où règnent la concupiscence, la rusticité, le raffinement, le désir le plus cru et la recherche de la jouissance absolue. Tout s’achète. L’argent et les corps circulent de mains en mains, objets de corruption et de chantage. La Celestine, vieille putain avare, est le maitre d’œuvre de cette sarabande infernale avec pour unique morale « Le bien, le profit et le plaisir ». Il n’y a rien chez elle qui ne soit pas source de profit. Aucune générosité. Elle est partout chez elle parce que la recherche de la jouissance est partout, dans tous les milieux. Il n’y a pas de porte qu’elle ne puisse pas franchir. Et  là ou est la jouissance, là est l’argent. Et ce sont plus généralement les femmes qui mènent le jeu, objets et source des désirs dont elles conscientes et qui font leur pouvoir face aux hommes qui n’en peuvent plus. C’est une société matérialiste, marchande ou Dieu n’a pas sa place. Libéré du carcan religieux, l’homme peut jouir sans entrave. Plus dure sera sa chute.

© Christian Ganet

Tout se passe sur un étroit plateau bifrontal entre deux portes de taurils. La mise en scène de  Christian Schiaretti annonce une tauromachie, une mise à mort programmée. Au centre de cette arène, La Celestine. Celestine, c’est Hélène Vincent. Elle donne une énergie folle à ce personnage qui parcourant le plateau marche en frappant le sol comme pour convoquer le diable. Elle lui donne même parfois une fragilité insoupçonnée qu’elle masque tout aussitôt. Rouée, menteuse, manipulatrice, avaricieuse, jouisseuse, Hélène Vincent décline un répertoire dans l’abject assez jubilatoire. Mais il lui manque une puissance, un charisme qui marquerait sa Celestine plus profondément. Les autres acteurs ne ménagent pas leur peine et sont tous justes.  Seulement voilà, il manque quelque chose. La particularité de cette pièce est que l’acte sexuel n’est pas seulement décrit il se fait et sur le plateau. Ici si l’ont parle de sexe on en voit strictement rien. Tout ça manque terriblement de chair. Nous restons dans la mesure, la bienséance. La paillardise, le trivial est complètement occulté. Les corps eux-mêmes sont bien sages et ne trahissent aucunement leurs appétits, leur désir, leur sens. La scène d’amour entre Calixte et Mélibée qui n’est rien d’autre qu’un dépucelage rapide, atteint au ridicule par volonté de ne rien montrer de la chose. D’autant plus que la réplique de Mélibée devant le fait accompli est savoureuse. Et que dire des prostitués. Ce n’est pas leur jeu qui est en question mais il leur manque une vulgarité physique saine et joyeuse. La crudité de la scène entre Aréuse et Parmèno, dont c’est la première fois,  est loin d’atteindre le degré de jouissance attendue. Christian Schiaretti désamorce ainsi ce qui fait la richesse de cette œuvre, sa particularité et la vide de sa substance. D’un théâtre populaire sans entrave nous passons à un théâtre de cour ou la bienséance est de mise. Il y a maldonne. Vieux fond inconscient qui traîne encore aujourd’hui dans le théâtre français où tout passe dans la tête mais jamais par le corps. Si cela est valable encore pour Racine, pour  de Rojas sa formidable liberté et modernité demandait un autre traitement. C’est une mise en scène pudibonde, pas triste, non, mais bien trop raisonnable, en-deçà d’une dramaturgie qui explose les codes habituels français classiques.  Dont la fin, après la mort de Célestine, est expédiée rapidement. Comme s’il fallait en finir au plus vite et qu’il n’y avait plus d’intérêt. Tout se dégonfle donc et nous ressortons de 3h30 de spectacle frustrés comme des amants dépités qui n’auraient rien obtenu des promesses annoncées.

La Celestine
De : Fernando de Rojas
Texte français et collaboration artistique : Florence Delay
Mise en scène : Christian Schiaretti
Avec : Hélène Vincent, Nicolas Gonzales, Yasmina Remil, Olivier Borle, Julien Gauthier, Jeanne Bouaye, Laurence Besson, Clémentine Verdier, Beatrice Jeanningros, Alain Rimoux , Damien Gouy, Clément Morinière, Jérôme Quintard
Scénographie : Renaud de Fontainieu
Costumes : Thibault Welchin
Lumière : Julia Grand

Jusqu’au 3 avril 2011

Théâtre Nanterre-Amandiers
7 avenue Pablo Picasso, 92 022 Nanterre
www.nanterre-amandiers.com

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