© Christian Berthelot
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
La cantatrice chauve nous revient ! Toujours aussi échevelée et décoiffante. La mise en scène de Jean-Luc Lagarce, 1991 déjà, n’a pas pris une once de ride. Reprise en 2006, en 2009, toujours à l’Athénée, elle était passée par ici, elle nous revient là. Avec la même distribution d’origine. Une bande de magnifiques cinglés, unis comme les doigts de la main pour une partition totalement loufoque. La pendule n’en finit toujours pas de sonner neuf heure et nos personnages de battre la breloque. Dans ce décor so british, gazon vert anglais et couleurs acidulées, nos femmes chapeautées fleuries d’importance comme la queen mum, nos hommes cravatés serrés comme à la City, s’emploient à l’art de la conversation, manient le non-sens, l’absurde et la logique avec brio et un naturel confondant, un flegme tout britannique. Ça craque bien de temps à autre mais on maintient les apparences, droit et digne comme un parapluie anglais. Parfois l’angoisse sourd, la peur est là, l’inquiétude surgit, vite balayées parce qu’il faut combler à tout prix le silence inopiné qui tombe sans crier gare. Alors on parle, on parle, on parle, on raconte des anecdotes, on passe du coq à l’âne, on fait le coq et l’âne. On crie aussi. On chante un peu. Parfois on se couche à même le gazon. La bonne passe et repasse, jamais les plats, ajoute son grain de sel et le capitaine des pompiers qui circulait par-là s’enflamme. Jean-Luc Lagarce trousse Ionesco sans façon, le bouscule cul par-dessus tête, le pousse à bout, jusqu’à la folie, juste pour voir les limites et les franchir allégrement. Dépoussiérage en règle, ménage en grand, en regard de l’historique et respectueuse et vénérable mise en scène de Nicolas Bataille qui n’en finit pas de se nécroser à la Huchette et dont ici il est fait avec beaucoup de malice référence et comparaison. Jean-Luc Lagarce lorgnait sur son époque, celle des feuilletons télés, soap opéra aux rires préenregistrés, qui tombent ici comme des cheveux dans le potage anglais des Smith, dont la télé réalité aujourd’hui est le triste avatar. Il y a de ça dans cette mise en scène, un fond chiche de Dallas à l’anglaise sous acide, tordu et cheap, nappé et relevé de sauce à la menthe froide, montée comme une production des Monty Python au mieux, au pire Benny Hill, ou l’absurde et l’incongru sont la norme. Jamais le n’importe quoi. Au regard de notre époque on se dit que Jean-Luc Lagarce était un visionnaire. Les Smith et les Martin, vice et versa, annonçaient déjà les Kardashian. L’exposition d’une vie bourgeoise clinquante aussi creuse qu’un tea-pot, artificielle comme un gazon synthétique. De fait tout, au réel, s’écroule bientôt et derrière la façade si blanche et si parfaite de ce cottage des environs de Londres, il n’y a rien. Le vide. Le vertige. Tout n’est qu’illusion. Fini de rire ! Et les six comédiens, six compagnons de route du regretté Jean-Luc Lagarce, dans cette Roulotte qui fut leur compagnie, sont tout simplement prodigieux par leur jeu si naturel et flegmatique qu’il en est inquiétant, la folie furieuse dégoupillée et le burlesque explosif en sautoir.
La cantatrice chauve d’Eugène Ionesco
Mise en scène de Jean-Luc Lagarce (reprise de la création de 1991)
Avec Mireille Herbstmeyer, Jean-Louis Grinfeld, Marie-Paule Sirvent, Emmanuelle Brunschwig, Olivier Achard, Christophe Garcia/François Berreur (en alternance)
Décor Laurent Peduzzi
Lumière Didier Etievant
Costumes Patricia Dubois
Regard extérieur François Berreur
Du 17 janvier au 03 février 2018
Le mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h
Relâche le dimanche
Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet
Square de l’Opéra Louis-Jouvet
7 rue Boudreau
75009 Paris
Réservations 01 53 05 19 19
www.athenee-theatre.com
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