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Kiki de Montparnasse, mise en scène de Jean-Jacques Beinex au théâtre du Lucernaire

Sep 02, 2015 | Commentaires fermés sur Kiki de Montparnasse, mise en scène de Jean-Jacques Beinex au théâtre du Lucernaire

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

kiki© DR

Évocation sensible et sans misérabilisme d’un destin hors du commun, celui de Kiki de Montparnasse, Alice Prin pour l’état civil, muse, égérie du Montparnasse des années 20, celui d’Utrillo, Modigliani, Soutine, Foujita, dont elle fut pour chacun le modèle, l’amie, et de Man Ray qui l’immortalisa et dont elle fit son amant. Portrait d’une femme et, à travers elle, mémoire d’un quartier, entre le Dôme, La Coupole et le Jockey, d’une époque singulière, les années folles où le talent éclatait dans la misère. Kiki fut la muse fauchée, affamée de Montparnasse, modèle, chanteuse, entre alcool et cocaïne, chute et rédemption. Pourtant Jean-Jacques Beinex évite le pathos, le cliché gras qui tâche. C’est au contraire plein de pudeur, de non-dit, beaucoup d’élégance et de justesse. Ce qui pourrait faire pleurer Margot dans les chaumières, et il y aurait matière, est, avec beaucoup de tact, évoqué, jamais appuyé. Cet atelier dans lequel évolue Kiki à demi-nue, devient un cabaret, où Kiki redevenue Alice chante et raconte sa vie, esquisse quelques pas, entre gravité et légèreté. Rien de la gouailleuse. Jean-Jacques Beinex esquisse, stylise, gomme. Surtout il a trouvé en Héloïse Wagner une magnifique interprète. Ce qu’elle offre est un nuancier, une palette d’émotions, toujours justes mais retenues pour ne jamais tomber dans la caricature. Elle donne de Kiki un portrait saisissant, troublant même, d’une poésie et d’une humanité poignantes, loin de tout cliché. Kiki est une brave fille, fleur bleue, bonne copine mais terriblement vivante, complexe, pudique au fond, au destin froissé mais toujours évoqué avec lucidité, sincérité. Alice est à nu, bien plus nue et fragile que Kiki devant les peintres pour lesquels elle posait pour presque rien. Héloïse Wagner devient l’incarnation troublante d’un personnage dépouillé soudain de son mythe, plus près de la femme et de ses tourments et démons, Alice en somme, que de l’image de la muse lointaine et figée par la postérité qu’il nous en reste. Les chansons, superbes dans leur évocation, sont autant de mise à distance et de contre-points poétiques qui allègent ce portrait sans complaisance d’un destin qui s’effaça après le tourbillon de ces années folles quand s’estompa l’avenir et la bohème de ce quartier qui vit naître et se briser tant de vocations artistiques. La fin d’Alice Prin n’est pas évoquée ici, pudeur extrême, et c’est tant mieux car si Alice Prin un jour mourut, Kiki de Montparnasse, elle, reste encore dans les mémoires, souvenir vivace et muse d’un quartier, d’une époque révolue qu’aujourd’hui Jean-Jacques Beinex et Héloïse Wagner évoquent sans nostalgie béate mais avec un bonheur certain et contagieux.

Kiki de Montparnasse, mise en scène de Jean-Jacques Beinex
Adapté du livre « Kiki de Montparnasse, souvenirs retrouvés » ( Ed. José Corti, 2005)
Assistant mise en scène, Manon Elezaar
Chansons, Franck Thomas
Musique, Reinhard Wagner
Avec Héloïse Wagner
Accompagnée par Rémi Oswald ou Jean Yves Dubanton et Rodrigue Fernandes
Chorégraphie Corinne Devaux
Vidéo, Christian Archambeau / Jean-Jacques Beinex

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
Du 29 Août au 18 octobre 2015
Du mardi au samedi à 21h30, le dimanche à 19h
Réservations : 01 42 22 66 87
www.lucernaire.fr

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