Critiques // « Kichinev 1903 » de Haïm Nahman Bialik à la Maison de la Poésie

« Kichinev 1903 » de Haïm Nahman Bialik à la Maison de la Poésie

Fév 19, 2010 | Aucun commentaire sur « Kichinev 1903 » de Haïm Nahman Bialik à la Maison de la Poésie

Critique de Bruno Deslot

Les horreurs du premier jour de Pâques

Pendant les deux derniers jours de Pessah, en avril 1903, un pogrom s’abat sur la ville de Kichinev en Bessarabie. Meurtres, viols, écartèlements, et autres violences s’enchaînent, tuant une cinquantaine de personnes et blessant plusieurs centaines de membres de la communauté juive. Présentes sur les lieux du massacre, la police et l’armée accordent tacitement à la population de Kichinev, de se déchainer sur les juifs de la ville. La violence de l’émeute devient paroxystique et encourage les exactions les plus redoutables. Ces actes de barbarie suscitent une vive réaction dans le monde, la presse internationale et plusieurs intellectuels russes, dont Tolstoï et Gorki, condamnent l’attitude du gouvernement.

Originaire de Zhitomir, en Ukraine, le poète Haïm Nahman Bialik (1873-1934), résidant à Odessa, est alors envoyé à Kichinev par la Commission Historique Juive afin de recueillir les témoignages des survivants et de publier un rapport qui permettra de comprendre ce qu’il s’est passé et aussi à porter secours aux victimes. Le poète consigne les informations dans des cahiers, mais bouleversé, il utilise ces écrits pour composer une poème qu’il nomme Dans la ville du massacre. Emprunt de douleur et d’amertume, ce poème est un cri d’humanité aux victimes, qui selon la formule prophétique de l’auteur, doivent prendre leur destin en main et défendre leur dignité d’homme.

Une longue quête de soi

Du poète à l’interprète, de Bialik à Zohar Wexler, la filiation est établie entre un lieu dévasté par la violence et une famille, dont les membres ont vécu à Kichinev. Sur les ruines d’un passé à reconstituer, Zohar Wexler s’engage dans une longue quête de soi, effectuant le voyage initiatique dans la ville de l’horreur. Cent sept ans plus tard, le comédien cherche à savoir ce qu’il reste de la mémoire familiale. Entre Haïfa animée, vivante et Kichinev en absence d’identité, Zohar Wexler parcoure l’Europe sur les traces de son passé, ouvrant à l’Histoire, son album de famille. Ses deux grands parents, Nissan Wexler et Zina (née à Moscovitch) sont de Kichinev, qu’ils ont quitté dans les années 30 pour la Palestine. Les interrogations s’additionnent à propos du massacre de 1903, et Zohar Wexler s’engage, par le projet d’un voyage, à relier la grande Histoire à la petite histoire familiale. Un projet qui mène le comédien sur les traces de son passé avec une puissante nostalgie et une envie déterminée de comprendre ! Des interrogations qui demeurent sans réponses lorsque Wexler entre enfin dans la ville de Kichinev, moderne et érigée en citadelle de son époque, elle cache les stigmates d’un passé qui ne passe pas. Dès lors, seules l’imagination, le ressenti et le poème de Bialik, permettront à l’acteur de lever le voile sur l’horreur du massacre des 6 et 7 avril 1903.

Longue déambulation du poète dans la ville de Kichinev après le massacre, les images de l’horreur sont mises à nu, les caves s’animent et retentissent de douleur pendant que la terre s’ouvre pour laisser entrevoir l’enfer de la révolte. Un poème réquisitoire qui appel à la résistance, que Bialik traduit en yiddish et que Zohar Wexler cite, de temps à autre, durant la mise en voix de cette longue pérégrination.

Dans une adresse au public, l’acteur expose son projet de voyage qu’il prépare à l’aide de documents trouvés à la BNF ou dans le Times. Les paroles, très justement livrées, sans affects, rapportent les éléments de l’enquête qui progresse au rythme incertain d’une géographie aléatoire ! Les images de cette longue quête de soi, sont projetées au mur, en regards, afin d’illustrer l’album de famille. Zohar Wexler marche, explique, s’interroge puis pénètre les souterrains de l’horreur pour en exhumer les vers de Bialik dans une douleur expiatoire. C’est beau, fort et touchant !

Kichinev 1903
Dans la ville du massacre

Textes : Haïm Nahman Bialik
Mise en scène et jeu : Zohar Wexler
Collaboration artistique : Catherine Abecassis
Création vidéo : Marie-Elise Beyne
Création lumière : Christian Pinaud, Paul Baureilles
Scénographie : Vincent Tordjman
Costumes : Cidalia Da Costa
Son et images : Dominique Lacour
Musiques : Teddy Lasry
Montage vidéo : Céline Ducreux
Maquillage : Sophie Niesseron

Du 17 février au 21 mars 2010

Maison de la Poésie
Passage Molière, 157 rue Saint-Martin, 75003 Paris
www.maisondelapoesieparis.com

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