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Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Jean-Charles Mouveaux, Théâtre du Petit Louvre / Chapelle des Templiers, Festival d’Avignon off

Juin 22, 2017 | Commentaires fermés sur Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Jean-Charles Mouveaux, Théâtre du Petit Louvre / Chapelle des Templiers, Festival d’Avignon off

© Marie Coulonjou

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

 

Entendre la langue de Jean-Luc Lagarce dans sa juste tonalité, cette petite musique si particulière, unique, reconnaissable entre toutes. Un texte qui se reprend, va et vient, ressace, respire, pour dire au plus juste, être au plus près d’une vérité, exprimer sa vérité. Des personnages empêchés, taiseux souvent, qui biaisent, trichent, finissent par se lâcher, combler brutalement le silence et le manque, dire leurs quatre vérités. Et blesser. Ou ne rien dire du tout, se taire obstinément. Et blesser. Comme Louis, venu annoncer sa fin prochaine et dont l’arrivée inopinée ouvre à nouveau des plaies que l’on croyait fermées, et qui repartira sans rien avoir dit, laissant derrière lui un champ dévasté. Jean-Luc Lagarce et sa cruauté, son humour, sa douce ironie, son écriture si pointue, minutieuse. Jean-Charles Mouveaux met en scène Juste la fin du monde sans chichi ni façon. Avec simplicité, dans ce décor singulier, amoncellement de tables renversées, jolie métaphore, comme autant de tréteaux à escalader, quelques chaises pour patienter, écouter, attendre son tour de prendre la parole. Et c’est bien la parole qu’il met en scène, une parole qui circule des uns aux autres, que l’on arrache parfois, que l’on retient aussi, qui détermine avec tant de précision presque maniaque chacun des personnages. Cette façon unique d’être au monde, aux autres. Et qui vous  broche, vous relie malgré soi, contre soi. Et ils sont formidables ces comédiens-là, sur ce plateau noir et gris, qui s’emparent de cette langue, lui donnent son poids de chair avec justesse, sans affèterie, avec rudesse parfois. Ils n’oublient jamais que cette langue si bouleversante est constitutive de leur personnage, que c’est une respiration et une identité. Chantal Trichet, la mère, en donne une démonstration éclatante. Bouleversante de solitude, lucide, solide et fragile, violente même. Cette langue-là, elle se l’approprie, en fait sienne, l’amplifie sans effet, l’air de rien, de ne pas y toucher, tout entière immergée en elle, la rend palpable, concrète, solide et vibrante, à l’image de son personnage, et ça vous chamboule sans crier gare. Philippe Calvario (Antoine, le frère) atteint une vérité saisissante qui vous broie, vous ronge. Son monologue final, qui n’en est pas tout à fait un, est d’une brutalité, d’une cruauté écorchée, l’expression d’une souffrance à vif que la langue de Jean-Luc Lagarce sculpte avec concision, précision, et que lui, Philippe Calvario sert sans hystérie – nous ne sommes pas chez Xavier Dolan – mais avec une profondeur inouïe, y puisant l’essence même de son personnage. Jean-Charles Mouveaux fait donc de la langue de Jean-Luc Lagarce une matière vivante, organique, concrète qui, hors des intentions avouées de mettre à nu les mécanismes familiaux et, au-delà, sociétaux, détermine sa mise en scène. Sans se faire dévorer par elle, la langue, par trop de respect, il s’appuie au contraire sur celle-ci, en fait un espace de jeu, d’enjeux, de tension, d’attention. Et c’est tout simplement un petit et beau miracle d’écouter cette pièce, car il s’agit aussi d’écoute – plagions Claudel avec son « œil écoute » – comme sans doute Jean-Luc Lagarce l’entendait. D’être au cœur battant de l’écriture. A la chamade.

 

 

Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce

Mise en scène de Jean-Charles Mouveaux
Assistante à la mise en scène Esther Ebbo
Scénographie Raymond Sarti
Construction Anthony Sarradin
Lumières Ivan Morane
Costumes Michel Dussarat

Avec Vanessa Cailhol, Philippe Calvario, Jil Caplan / Esther Ebbo, Jean-Charles Mouveaux, Chantal Trichet

Festival d’Avignon Off
Du 7 au 30 juillet 2017 à 19h35
Relâche les mardis 11, 18 et 25 juillet

Théâtre du Petit Louvre / Chapelle des Templiers
3 rue Félix Gras
84000 Avignon

Réservations 06 62 16 98 27

www.theatre-petit-louvre.fr

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