Critiques // « J’écrirai la paix sur vos ailes » de Victor Avron à l’Aktéon Théâtre

« J’écrirai la paix sur vos ailes » de Victor Avron à l’Aktéon Théâtre

Fév 22, 2011 | Aucun commentaire sur « J’écrirai la paix sur vos ailes » de Victor Avron à l’Aktéon Théâtre

Critique de Bruno Deslot

L’espoir n’est pas un vœu pieu !

Les destins croisés d’une petite nippone rescapée d’Hiroshima, d’Hans enrôlé dans les Jeunesses hitlériennes, de Margot cachée dans une ferme du Loire-et-Cher et Bilel, en pleine campagne tunisienne parti retrouvé son père sur le front, disent, avec les mots de l’enfance, à quel point la guerre est apatride !

Plongée dans l’obscurité, celle inquiétante des contes pour enfants, Sadako apparaît perchée sur une des boîtes délimitant les différents espaces de jeux. La petite japonaise s’apprête à mener une course haletante vers la victoire mais l’air lui manque. Le napalm tue, lentement, cruellement, sans autres explications. L’altération de ses forces est manifeste mais son espoir n’est pas vain. Tout comme celui d’Hans, enrôlé dans les Jeunesses hitlériennes, obéissant, il préfère participer à la reconstruction de Berlin plutôt que de se battre. De l’autre côté du  Rhin, Margot regarde les étoiles avec toujours plus d’étonnement, la seule qui ne la fait pas rêver est jaune et ne va pas avec sa robe. Au nord de la méditerranée, en pleine campagne tunisienne, Bilel part retrouver son père sur le front.

Des boîtes tiroirs, hissées les unes sur les autres, dessinent les limites d’une réalité géopolitique complexe qu’impose la Seconde Guerre Mondiale. La voix des enfants fait écho à cette somme d’inepties menée de main de maître par des adultes avides de pouvoir offrant un monde de désolation à ceux que l’humanité a engendrée. Trois comédiennes habillées en noir et cagoulées, donnent vie aux personnages en les manipulant avec une extrême dextérité. Un manchon planté dans la nuque, les bras et le corps de chaque marionnette esquisse l’image d’un couteau rendant le propos toujours plus incisif dès lors que les comédiennes s’en empare.

Leur présence sur scène est à peine palpable, leurs voix investissent les marionnettes comme un souffle discret qui embrase la scène. La petite Margot, aux cheveux roux et aux robes fleuries, prend vie avec coquetterie pour évoquer son quotidien partagé entre Paris et le Loire-et-Cher où elle a été accueillie par une famille qu’elle apprend à connaître bien malgré elle. Droit comme un I, l’air conquérant, Hans est bien décidé a reconstruire Berlin même s’il ne comprend pas tout ce qu’on lui raconte aux Jeunesses hitlériennes. Sa naïveté est interprétée avec toujours plus de vraisemblance à mesure que les événements s’intensifient. Bilel, apporte un regard surprenant sur la situation et son espoir fait écho à celui de Sadako poursuivant son pliage d’oiseaux en papier car il faut en plier mille pour que son vœu soit exaucé. Inspirée d’une histoire vraie, celle de Sadako fédère les autres avec une puissante émotion et propose aux spectateurs un témoignage historique dont la vérité réside davantage dans les interventions simples et efficaces des enfants que dans un pensum interminable sur les horreurs de la guerre avec à la clé ce fameux « devoir de mémoire » dont on nous rebat les oreilles !

Les marionnettes confectionnées en latex et chiffons sont à l’image d’une scénographie faite de guingois pour servir une proposition ambitieuse et d’une grande poésie. L’ensemble est aérien malgré la cruauté du propos car la mise en scène ménage des espaces de jeux suffisamment lisibles pour que chaque enfant dispose d’un espace de parole matérialisé par ces boîtes en bois figurant tantôt la campagne du Loir-et-Cher, la destruction de Berlin ou bien le lit dans lequel Sadako plie ses oiseaux en papier.

Les enfants vivent les atrocités de la guerre et en rapportent la cruauté dans une belle et longue métaphore qui questionne davantage qu’elle ne laisse impassible. Dans ce conte pour enfants, car il s’agit bien d’un conte dans lequel l’imaginaire, entre théâtre d’objets et musique originale, a toute sa légitimité, le propos va bien au-delà du témoignage historique, il invite avec beaucoup d’intelligence à questionner les enfants à propos des thèmes universels que sont la différence, la guerre, la paix… Lorsque les enfants se retrouvent dans cet espace de parole totalement imaginaire où tout est permis, on ne peut qu’espérer que ce sont eux qui construiront la paix de demain.

Un spectacle exigeant et de grande qualité qui avec peu de moyens prouve, une fois de plus, que le vrai théâtre, celui qui questionne, interroge, et s’affranchit du divertissement avilissant dont se gavent les enfants, nécessite un travail de réflexion et d’investissement pour atteindre sa cible.

J’écrirai la paix sur vos ailes
Texte et musique : Victor Avron
Mise en scène : Krystell Lebrun
Création lumière : Antoine Cherix
Création marionnettes : Isabelle Cerclé
Avec : Gaëlle Cambon, Calire Conan-Vrinat, Anne-Laure Louazé

Du 12 janvier au 9 mars 2011

Aktéon Théâtre
11 rue du Général Blaise, 75 011 Paris
www.akteon.fr

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