Critiques // « Jean et Béatrice » de Carole Fréchette à la Folie Théâtre

« Jean et Béatrice » de Carole Fréchette à la Folie Théâtre

Nov 06, 2010 | Aucun commentaire sur « Jean et Béatrice » de Carole Fréchette à la Folie Théâtre

Critique d’Ottavia Locchi

Jean, un chasseur de prime obnubilé par les billets de vingt se rend au trente troisième étage d’un immeuble pour répondre à une annonce lue sur un poteau de la ville. « Récompense substantielle » sont les mots qui l’ont convaincu de grimper tous les étages à pied. Il ne s’attendait certainement pas à tomber sur une femme aussi singulière que Béatrice. Pour arriver à cette récompense, il doit, dans l’ordre, l’intéresser, l’émouvoir puis la séduire. Des épreuves qui ne font pas peur à Jean mais qui s’avèrent semées d’obstacles : Béatrice est intenable ! Bavarde, exubérante et pleine de névroses, elle se détourne systématiquement du sujet entre deux accès de narcolepsie. Peu à peu, les deux personnages s’éprouvent, leurs buts sont opposés. Jean n’espère que la récompense, et Béatrice attend une autre forme de récompense. Elle veut qu’on lui apprenne l’Amour.

© Alain André

Leurs deux solitudes à la fois entremêlées et creusées par un abîme sans fond laissent place à un chassé-croisé entre l’homme sauvage et la femme hystérique. Un homme et une femme enfermés dans une pièce est une situation qui laisse place à de multiples possibilités… Mais voilà, Carole Fréchette nous offre deux personnages en marge d’eux mêmes, l’un a trop souffert et s’est construit une forteresse, l’autre est atrophiée des sentiments et en quête d’un miracle qui viendra éveiller ses entrailles sèches comme le désert. Naît alors entre les deux personnages un affrontement sans relâche, l’un comme l’autre ne voulant se confronter à rien d’autre que soi-même.

C’est dans une ambiance noire et tourmentée que la metteuse en scène Hélène Lebarbier plonge ses comédiens, éparpillant le long de la scène des gobelets en plastiques destinés à étancher la soif de Béatrice. Ces gobelets, dispersés, nombreux, pourraient gêner aussi bien les spectateurs que les personnages en scène, car il y a difficulté à se déplacer sans y mettre les pieds. Cependant, cet inconfort souligne le cheminement escarpé de leur rencontre et maintient leur malaise et l’effort qu’ils fournissent pour ne pas tomber, pour rester debout devant l’autre, pour être fort et obtenir ce qu’ils sont venus chercher. Ainsi, le spectateur est pris, lui aussi, dans ce déséquilibre menaçant. La mise en mouvement dans l’illustration plate du texte n’est pas toujours judicieuse, mais elle a l’avantage d’être claire sur la tension et les intentions des deux personnages, et des états d’émotions par lesquels ils passent tout au long de leur tête à tête.

© Alain André

L’auteur québécoise Carole Fréchette a été récompensée pour ses écrits à plusieurs reprises. Son écriture lui vaut de recevoir le prix du Gouverneur Général (1995), le prix Chalmers (1998), le Prix Siminovitch (2002), et, en France, le Prix de la Francophonie SACD (2002) et le Prix Sony Labou Tansi (2004). La dramaturge est devenue une figure considérable du théâtre contemporain avec des pièces telles que Les Quatre Morts de Marie ou Les Sept Jours de Simon Labrosse.  Avec Jean et Béatrice, elle signe une rencontre acerbe pétrie de désirs enfouis et de dualité, menée par Valérie Parisot et Frédéric Gray, époustouflants dans leur rôles. Valérie Parisot interprète la magnifique mythomane rêveuse Béatrice avec fougue, et Frédéric Gray devient le vif chasseur à l’affût des billets de vingt prêt à tout pour remplir ses poches, parfois contre ses propres inhibitions.

Malgré un départ difficile de la part des deux comédiens, la scène prend forme au fur et à mesure, et emporte le spectateur dans le tourbillon de leur histoire : deux âmes perdues qui se rencontrent sans le vouloir, et luttent contre l’autre et contre eux-même, jusqu’aux confins de la folie.

Jean et Béatrice
De : Carole Fréchette
Avec : Valérie Paristo, Frédéric Gray
Mise en scène : Hélène Lebarbier
Scénographie : Anne-Flore Cabanis

Du 4 novembre au 9 janvier 2011
Reprise du 1er septembre au 6 novembre 2011

À la Folie Théâtre
6 rue de la Folie Méricourt, Paris 11e – Réservations 01 43 55 14 80

www.folietheatre.com

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