Critiques // « Ivanov » de Tchekhov à la Tempête, mis en scène par Philippe Adrien

« Ivanov » de Tchekhov à la Tempête, mis en scène par Philippe Adrien

Jan 06, 2010 | Aucun commentaire sur « Ivanov » de Tchekhov à la Tempête, mis en scène par Philippe Adrien

Critique de Bruno Deslot

Une douce mélancolie diurne

En charge de la gestion de terres paysannes, les affaires d’Ivanov vont mal. Détachée de sa femme avec laquelle il a vécu une grande passion amoureuse, Ivanov se rend chaque soir chez les Lébédev pour retrouver Sacha.

Endetté et sans argent pour payer ses ouvriers, les affaires d’Ivanov vont mal et la gestion des terres paysannes, dont il a la charge, est un désastre. Née Sarah Abramson, ayant rompu avec ses parents juifs, changée de religion et abandonnée sa fortune pour épouser celui avec lequel elle vit une grande passion amoureuse, devenue Anna, elle surprend son époux en grande conversation avec Sacha. La fille des Lébédev âgée de 20 ans, s’éprend d’Ivanov, voulant le sauver de sa tristesse en l’aimant. Pour Sacha, tout est clair, Ivanov la trompe avec Sacha. Son état de santé se dégrade et elle meurt, un an plus tard. Ivanov doit épouser Sacha mais la rumeur fait du jeune homme un intriguant que seule la dote de sa future épouse intéresse. Il ne veut pas de ce mariage, d’autant qu’il comprend bien vite que Sacha ne l’aime pas et s’est juste fixée pour but de le ramener à la vie. Mais à quelle condition ?

Un théâtre du symptôme

Tout paraît si simple dans le théâtre de Tchekhov, une intrigue réduite à son minimum, une petite bourgeoisie en perdition dans la campagne russe du XIXe siècle et un dialogue, fait de phrases courtes, où tout semble être dit et pourtant tout est gardé sous silence. Sincérité et justesse des mots, permettent à l’auteur d’appréhender avec finesse la nature humaine, prise dans le linceul de sa vie. Philippe Adrien et Vladimir Ant ont traduit « Ivanov » dans un style très contemporain, mettant en résonances chaque réplique avec toujours plus de vacuité, de surprise et d’étonnement. Nouvelle distribution pour une reprise exceptionnelle qui joue la carte de la légèreté apparente et de la farce pathétique que sert le discours des personnages. Philippe Adrien assure une direction d’acteurs juste et précise, entraînant les comédiens dans un jeu rythmé et engagé. Une belle énergie se dégage du plateau sur lequel évoluent les comédiens de manière aérienne, ce qui n’alourdit pas le propos mais lui confère une dimension parfois même comique. Un décor de brume, où fumigènes et semi-obscurité mettent en lumière la violente mélancolie d’Ivanov. Un intérieur de bois sombre avec, de part et d’autre, la chambre et le bureau d’Ivanov, au milieu duquel, une ouverture permet d’entrevoir les exploitations agricoles. Une fine étoffe grise et élégante s’abat sur la scène dès lors qu’il s’agit de passer de l’intérieur d’Ivanov à celui des Lébédev, sombre, enfumé et vaste ouvrant le chemin des possibles pour un Ivanov rongé par l’angoisse. Un jeu de lumières assez poétique, fend l’épaisseur ombreuse du plateau pour dessiner les contours indicibles des personnages. Apathique et en proie à cette force d’inertie qui le fige, Matthieu Marie interprète un Ivanov atteint d’oblomovisme, avec toute la conscience du dépressif à propos de sa pathologie. Une interprétation remarquable, soutenue par un souffle et une justesse agréablement surprenante, mais dont les émotions auraient pu être davantage nuancées afin de ne pas enfermer Ivanov dans son éternel représentation du dépressif chronique et du mélancolique pathétique. Jeune, délicieuse et touchante, Julie André a fait d’Anna, un personnage dont le combat est déterminé sans jamais tomber dans la caricature. Sacha (Alexandrine Serre) est espiègle, vive et séduisante, elle réussit à donner à son personnage un enthousiasme réel qui contraste férocement avec le désespoir d’Ivanov. L’ensemble des comédiens dégage une énergie créatrice au service du texte, dans un rapport de complicité enfin retrouvé.

Ivanov
De : Anton Tchekhov
Texte français : Philippe Adrien et Vladimir Ant
Mise en scène : Philippe Adrien
Avec : Matthieu Marie, Julie André, Bruno Ouzeau, Wolfgang Kleinertz, Etienne Bierry, Lisa Wurmser, Alexandrine Serre, Guillaume Marquet, Olivier Constant, Jana Bittnerova, Julien Villa, Vladimir Ant, Emilie Lechevallier
Décor : Jean Haas
Lumières : Pascal Sautelet
Musique et son : Stéphanie Gibert
Maquillages : Faustine-Léa Violleau
Costumes : Hanna Sjödin
Collaboration artistique : Clément Poirée

Du 5 au 10 janvier 2010

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75 012 Paris
www.la-tempete.fr

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