ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Il ne fait pas bon aimer un homme au-dessus de sa condition. Malgré les avertissements de ses parents inquiets de la situation et conscients du danger, Louise Miller, fille d’un maître de musique, est éprise de Ferdinand – amour partagé – fils du comte Président von Walter. Ce dernier pour assoir sa condition à la cour souhaite impérativement marier son fils à la maitresse du grand-duc. Ferdinand refuse de renoncer à son amour. Le président intrigue alors à la perte de Louise. La jeune fille est contrainte d’écrire une fausse lettre d’amour destinée à un autre homme. Ferdinand, trompé par son père, et devant le refus de Louise de démentir cette lettre, provoque le drame.

Pièce dramatique de von Schiller, charge contre la corruption politique et sentimentale, les deux se monnayant, où l’innocence est broyée au nom de veules intérêts qui la dépassent, drame social et politique – remettons cela dans le contexte, 1784, bientôt la révolution française – où la jeunesse porte des idéaux – des habits encore bien trop grands pour eux – et refuse déjà l’ordre pérenne. Intrigue et Amour porte les stigmates de la violence de classe, des conflits générationnels entre un ordre établi et un nouvel ordre possible. L’idéal trahi des amoureux maudits n’est que l’utopie d’un avenir faisant table rase d’une société sclérosée et corrompue. Von Schiller dénonce l’absolutisme dont Louise et Ferdinand sont les victimes. Dans ce drame personne ne sort vainqueur. La mort des amants signe la disparition prochaine de leurs bourreaux.

Yves Beaunesne signe une mise en scène magnifiquement pirandellienne. Il y a là quelque chose des « Géants de la montagne ». Cette volonté de raconter et d’affirmer la réalité, la vie par le théâtre. Une mise en scène intelligente et très subtile, parfaitement maîtrisée, poétique aussi. Dans un théâtre désaffecté, formidable scénographie de Damien Caille-Perret, palimpseste qui semble porter les traces des anciennes créations d’Yves Beaunesne, s’installent les comédiens. D’abord ombres chinoises avant que le rideau ne se déchire, ils semblent surpris, ne pas être prêts.  Une installation dans l’urgence de la représentation à donner où des fragments d’anciens décors, des costumes de bric et de broc saisis au vol sur un portant suffiront à la représentation. Autant de signes d’une mise en abyme. Yves Beaunesne souligne la théâtralité, renforcée par le jeu volontairement appuyé et théâtral des comédiens. Le drame qui se prépare est ainsi mis intentionnellement à distance. Cependant et subtilement, intelligemment, par des ruptures de jeux impromptues, cette théâtralité disparaît au fur et à mesure. Pour un jeu bien plus nuancé. Les comédiens s’installent, la représentation de même. Nos rires se figent, se changent bientôt en inquiétude. Et c’est toute la violence de cette pièce qui explose. Ce qui n’aurait dû être qu’un drame d’amour contrarié devient une tragédie dont les enjeux dépassent la simple intrigue amoureuse. Yves Beaunesne met à jour les mécanismes pervers de la domination de classe et souligne par cette mise en scène en miroir combien la fonction du théâtre – pas seulement celle de von Schiller – est d’être une représentation paradoxalement sans fard du monde. Tel qu’il est et tel qu’on le rêve. Nous sommes au théâtre, Yves Beaunesne le souligne, mais la poésie ne cache en rien la réalité, la cruauté des situations dénoncées par von Schiller. Elle ne fait que les exacerber. Cela est d’autant plus évident ici que la nouvelle traduction d’ Intrigue et Amour signée de Marion Bernède est formidable de modernité. Les dialogues claquent, vibrent, font mouche. Illustrant les propos de Louise « Les mots sont des cadavres froids que seul l’amour ramène à la vie. » Louise c’est Mélodie Richard. Comédienne d’une extrême sensibilité. Une voix singulière aux nuances subtiles. Son corps, lui,  est une partition, un texte en creux qui dément, approfondit, anticipe ce qu’elle énonce. Un corps habité d’élans secrets, prêt à se rompre parfois et pourtant irrigué d’une force souterraine qui la voit têtue vent debout contre le Président et même Ferdinand. Le président, incarné par Jean Claude Drouot, impérial, impérieux de rudesse et de machiavélisme. Homme de pouvoir et le salaud parfait. Les comédiens, pas de seconds rôles ici, sont au diapason. Chacun incarne son personnage en ses pleins et ses déliés. On sent un bonheur évident à être là, sur cette scène, dans ce théâtre du Peuple, à jouer ensemble cette pièce sombre et lumineuse tout à la fois. Et quand meurent les amants, unis dans une ultime étreinte, et que s’ouvrent les portes au lointain, c’est pour surprendre les comédiens déjà sur le départ. Et les amoureux de se relever pour les rejoindre sur le sentier qui serpente entre les arbres. Et nous, de nous ébrouer. Tout ça n’était que du théâtre. Les yeux se portent sur le fronton du manteau d’Arlequin où la devise de ce théâtre en bois est inscrite : « Par l’Art, pour l’Humanité ». Mission accomplie, encore une fois.

Intrigue et Amour
Texte Friedrich von Schiller
Mise en scène Yves Beaunesne
Texte français et collaboration artistique Marion Bernède
Scénographie Damien Caille-Perret
Lumières Florent Jacob
Création musicale Camille Rocailleux
Costumes Jean-Daniel Vuillermoz
Maquillage Catherine Saint-Sever
Assistanat à la mise en scène Marie Clavaguera Pratx et Marie Baxerres

Avec Jean-Claude Drouot, Mélodie Richard, Jeanne Lepers, Philippe Fretun, Anne Le Guernec, Thomas Condemine, Sophia Leboutte, Olivier Constant, Gaël Soudron, Hélène Chevallier, Frédéric Cuif

Théâtre du Peuple de Bussang

40, rue du théâtre – 88540 Bussang
Le 1, 2, 5, 6, 7, 8, 12, 13, 14, 15, 19, 20, 21, 22 Août 2015
Les mercredis, jeudis vendredis et samedis à 15hRéservations 03 29 61 62 47
www.theatredupeuple.com
info@theatredupeuple.com

Be Sociable, Share!

•