Critiques // « Inconnu à Cette Adresse » de Kressmann Taylor à l’Aktéon Théâtre

« Inconnu à Cette Adresse » de Kressmann Taylor à l’Aktéon Théâtre

Fév 06, 2010 | Aucun commentaire sur « Inconnu à Cette Adresse » de Kressmann Taylor à l’Aktéon Théâtre

Critique de Bruno Deslot

Les ravages de l’Histoire

Deux amis, Max et Martin, associés dans une galerie d’art à San Francisco, débutent une relation épistolaire en 1932, au moment où Martin décide de rejoindre sa patrie d’origine, en proie à des changements politiques irréversibles.

Martin Schulse, un Allemand, et Max Eisenstein, un Juif américain, associés depuis des années dans une affaire prospère de commerce de tableaux, dirigent « La galerie Schulse-Eisenstein » à San Francisco. En 1932, Martin décide de rejoindre Munich, où il s’installe définitivement, entretenant dès lors, une relation épistolaire avec son ami de toujours. Pris dans le tourbillon d’une d’une actualité politique inquiétante, Martin en fait part à Max et malgré son adhésion affirmée au libéralisme, dans une lettre du 25 mars 1933, il reconnaît à Hitler un fort charisme et espère que cet homme saura sortir l’Allemagne du marasme financier dans lequel elle s’embourbe depuis la fin de la première guerre mondiale. Les violences envers les juifs se font de plus en plus nombreuses et Martin tente de trouver des explications, voire des excuses à ces « débordements » afin de rassurer Max. Bientôt, Martin ne veut plus avoir à faire avec la race juive qu’il considère comme une plaie ouverte pour toute nation qui lui a donné refuge et supplie son ancien ami de ne plus lui écrire. Mais de l’autre côté de l’océan, Max est surtout inquiet pour sa jeune soeur dont il n’a plus de nouvelles depuis sa tournée en Allemagne. Désormais séparés par la distance, les deux amis le sont aussi par leurs origines respectives.

Une esthétique de la litote

Moins de vingt lettres, racontent à leur manière, comment l’Histoire peut s’introduire dans les destins particuliers et les emporter. Pas de commentaire, d’analyse ni de digression dans cette nouvelle de Kressmann Taylor, dont la structure narrative s’apparente à un journal intime. Inconnu à cette adresse réunit la correspondance de deux amis, entre le 12 novembre 1932 et le 3 mars 1934. Au cours de ces quelques mois, les liens d’amitié qui unissaient les deux hommes, s’étiolent pour faire place à une haine féroce procédant d’une vaste machination politique. Publiée en octobre 1938, un mois avant la Nuit de Cristal et près d’un an avant la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, la nouvelle de Taylor dénonce le régime nazi, en soulignant ce qu’il entraîne chez deux hommes séparés par la distance et l’origine. Sans littérature ni complaisance, les pages abruptes et frémissantes de cet ouvrage, donnent à cette oeuvre une dimension universelle qui porte la réflexion bien au-delà du contexte historique.

Pierre Sallustrau et Marc de Feraudy ont choisi de mettre en voix ce texte poignant et de le faire entendre dans un cadre intimiste, mettant l’accent sur une amitié forte entre deux hommes que tout fini par opposer dans un contexte politique qui dessert leur complicité. L’esthétique de la litote qui caractérise la nouvelle de Kressmann n’est sans doute pas l’expression la plus appropriée pour évoquer la scénographie de ce spectacle. Un espace saturé d’objets d’art, de tableaux et de gravures suspendues, rappellent certes que les deux hommes sont galeristes, mais font des deux comédiens, les narrateurs omniscients d’une nouvelle davantage mise en voix qu’interprétée. Une table basse, aussi large que longue, sur laquelle reposent une coupe avec des fruits et quelques verres à vin ainsi qu’une cruche, séparent les deux hommes. L’opposition, puis l’éloignement des deux amis est claire, mais aurait pu sans doute faire l’économie d’une scénographie trop didactique, étouffante, ne laissant que peu de place et de possibilité à une mise en représentation du texte. Un jeu de lumière, assez timide, isole les personnages dans leur détresse tout comme dans leur solitude scénique. La mise en scène, à compter qu’il y en ait une, fait de la proposition un ensemble trop prévisible, lisible et presque ennuyeux. Le jeu des comédiens est assez inégal, et extérieur à cette pudeur, ce sentiment dévastateur qu’éprouvent Martin et Max et contre lequel ils ne peuvent rien. Une mise en voix davantage assumée, relayée par des corps en action, libèrerait sans doute, une force dramatique qui manque cruellement. Cette pièce est cependant livrée avec générosité, force et conviction.

Inconnu à cette Adresse

De : Kressmann Taylor

Mise en scène : Pierre Sallustrau et Marc de Feraudy

Avec : Pierre Sallustrau et Marc de Feraudy

Du 22 janvier au 27 mars 2010

Aktéon Théâtre

11 rue du Général Blaise, 75011 Paris

www.akteon.fr

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