Critique de Denis Sanglard –
Vos parents sont-ils vos parents ?
Un couple. Lui boit, ne fait rien, ou pas grand-chose. Elle, elle entame une grève de la faim. Comme ça, pour ressentir la faim puisqu’elle n‘a plus d’appétit. C’est pas la misère mais presque. Sur une étiquette de bouteille, un concours, organisé par l’Union Européenne, est proposé pour gagner de l’argent. Une seule question est posée, la première d‘une série, « Vos parents sont-ils vraiment vos parents ? ». Ils répondent et c’est l’engrenage.
© Alexandre Pupkins
Gérard Watkins est parti de sa colère contre l’amendement Mariani qui imposait aux demandeurs d’asile des tests ADN pour le regroupement familial. Amendement odieux depuis enterré mais qui a fait place au débat tout aussi terrifiant et explosif, populiste, sur l’identité nationale. « Identité » n’apporte aucune réponse, il met simplement à nu les mécanismes pervers de ce débat et les réponses individuelles possibles face à la pression des pouvoirs politiques et économiques. Qui résiste, qui suit. Jusqu’où. Avec pour terrible échos la rafle du Vel’ d’hiv’ et la logique absurde et perverse de l’administration française vichyste sur la question et la définition de « la race juive ». Où en sommes nous aujourd’hui, nous qui avons crée un ministère de l’identité nationale ? On pense à Hannah Arendt et sa théorie si juste lors du procès Eichmann sur la banalité du mal, « plus on est loin du pouvoir plus on est coupable ». Une question alors surgit soudain et fait débat au sein du couple, « Y’a-t-il une pensée derrière un génocide ? » qui exonérerait un pouvoir de sa responsabilité. « Identité » montre que l’individu est avant tout la somme de ses choix, de ses rapports à l’autre tout en étant le produit d’une société qui le défini, le classifie et lui demande des comptes sans en rendre elle même. Accepter ou résister, dans un cas comme dans l’autre, c’est une question de survie ou de liberté. Avec le prix à payer. La résistance de Marion Klein, dont la grève de la faim agit comme un révélateur, fait exploser les certitudes du couple et de leur identité propre. Qui sommes-nous réellement qui nous inventons ? Qui sont nos parents en effet ? Qu’ai-je à voir avec eux qui me lierait de fait à telle catégorie pour le pouvoir en place, qu’il soit national ou européen ?
Banalité du mal
La force du texte tient dans sa composition et sa fluidité. Kafkaïen pour l’atmosphère étrange, frôlant l’absurde dans certaines situations, presque fantastique, on pense également au « Tropismes » de Nathalie Sarraute. Jamais Gérard Watkins ne tombe dans la facilité, l’effet, le pathos. Effrayant même de banalité, glaçant, mais non sans humour. La mise en scène est au diapason, tendue à l‘extrême, sans esbroufe, crue. Jamais Gérard Watkins ne relâche la tension dans ce huis-clos infernal, étouffant de violence insidieuse.
© Hervé Bellamy
Unité de temps et de lieu, un minimalisme volontaire où les personnages dépouillés de tout accessoire sont sans cesse à vue, fouillés, grattés jusqu’à l’os, Gérard Watkins fait exploser la distance qui pourrait nous séparer de la scène. Cela devient vite inconfortable de proximité. Nous n’avons nul refuge et pas de fuite possible. Les comédiens sont remarquables d’engagement. Anne-Lise Heimburger donne à son personnage une force tranquille, désabusée jusqu’à la destruction lucide. Son corps, métaphore du pourrissement de la situation, incroyablement et littéralement se désagrège sans effort. Elle semble disparaître, s’effacer comme aspirée de l’intérieur… Fabien Orcier oppose à sa résistance la lâcheté banale de celui qui doit survivre et s’invente toutes les bonnes raisons du monde, obtus jusqu’à la contradiction. Ces deux là dans ce face à face sont simplement terrifiant de réalisme. La légèreté donnée aux personnages, leur humour parfois, ne rend que plus terrible ce qui est proféré sans y toucher. Gérard Watkins démontre que l’engagement, le théâtre politique, au sens citoyen, est plus que nécessaire et vital aujourd’hui. Mais que la forme donnée n’a nul besoin de démonstration, de tintamarre scénique. Rendre comme banal ce qui l’est devenu dangereusement pour mieux le dénoncer est sans doute plus redoutable. Il reste au sortir de cette création un sale goût dans la bouche, un agacement, devant nos propres lâchetés et compromissions. Certain que cela ne plaira pas à tout le monde, encore moins aux nouveaux tenants réactionnaires de « la culture pour chacun ».
Identité
– Lauréat du Grand Prix de la Littérature Dramatique, 2010 –
Texte et mise en scène : Gérard Watkins
Avec : Anne-Lise Heimburger, Fabien Orcier
Scénographie et lumières : Michel GueldryDu 10 janvier au 11 février 2011
Théâtre Bastille
76 rue de la Roquette, 75 011 Paris – Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com