Critiques // « I Demoni » de Dostoïevski, adaptation Peter Stein à l’Odéon

« I Demoni » de Dostoïevski, adaptation Peter Stein à l’Odéon

Sep 25, 2010 | Aucun commentaire sur « I Demoni » de Dostoïevski, adaptation Peter Stein à l’Odéon

Critique d’Audren Destin

Disons le simplement et sans détour, cette adaptation par Peter Stein du roman de Dostoïevski Les Démons est une pure merveille.

12 heures

Balayons immédiatement les craintes, les doutes, les soupirs, les angoisses de ceux qui s’imaginent passer douze heures à mourir d’ennui coincé entre deux abonnés octogénaires, crevant de soif, de chaud, rêvant d’un lit confortable et d’un bon DVD, non ! Douze heures ce n’est rien, c’est juste ce qu’il faut, c’est presque trop peu.

D’une part, il y a régulièrement des pauses d’un quart d’heure et deux pauses de quarante cinq minutes pour déjeuner et dîner, si bien qu’on ne reste pas assis plus d’une heure et quart à la fois. D’autre part, c’est le temps nécessaire pour pénétrer dans la complexité de l’oeuvre de Dostoïevski, se familiariser avec ses personnages et finalement vivre l’histoire avec eux.

© Boccalini

Loin du simple divertissement, de la coquetterie intellectuelle, au-delà  d’une simple représentation théâtrale, ce spectacle est une véritable expérience qui mérite d’être vécue pleinement. On en ressort chargé d’émotions, de pensées, comme si l’on revenait d’un voyage, comme lorsque l’on a lu fiévreusement un grand roman, mais avec plus d’intensité, et que l’on quitte ses personnages avec regrets, comme de vieux amis que l’on aimerait ne pas quitter. Pour être clair, certains spectacles d’une heure m’ont paru infiniment plus longs que celui-là, peu de spectacles m’ont autant captivé.

Une vie qui passe, une autre qui commence, puis cette autre passe aussi, une troisième commence, et c’est ça sans fin. Sauf que ces fins, elles sont coupées comme avec des ciseaux.

Les Démons est l’œuvre la plus politique de Dostoïevski, il y parle des folies d’une génération qui a perdu la foi religieuse, la remplaçant par des idéologies anarchistes et socialistes. Une génération sans repères, indifférente, nihiliste, mais néanmoins habitée par un désir de changement, un désir de révolution. Dostoïevski a anticipé avec une grande lucidité le développement de la société Russe un demi-siècle plus tard et les dérives du stalinisme. À travers cette noirceur, nous assistons au déroulement de la vie de personnages très différents, dans un ville de province, des personnages qui se retrouvent au tournant de leurs vies, confrontés malgré eux au meurtre, au suicide ou à la folie. Le récit est cependant plein d’humour et d’ironie.

© Boccalini

Tout le malentendu ne tient qu’en cela, savoir ce qui est le plus beau : Shakespeare ou une paire de bottes, Raphaël ou le pétrole ?

Dans ce spectacle, Peter Stein n’a pas voulu imposer sa vision intime ou personnelle du roman de Dostoïevski mais représenter le contenu, les personnages et la structure de la manière la plus fidèle possible. D’où la durée, indispensable pour adapter ce roman de 1200 pages. La plupart des dialogues sont issus du roman, le décor est simple, minimal, une paroi pivotante, quelques meubles, un piano et parfois une scène presque vide. Peter Stein s’est inspiré du cinéma pour diriger les acteurs dans le but de trouver un mode de jeu « international ».

Que dire des comédiens si ce n’est qu’ils sont tous absolument parfaits. Irene Vecchio dans le rôle de Liza Nikolaïevna Drozdova est superbe. « Vous et le bonheur, vous arrivez en même temps ». Cette jeune amazone, malgré son caractère inquiet et nerveux, illumine le plateau. Dans le roman, lorsqu’elle arrive en ville après un long séjour à l’étranger, toute la ville n’a que sa beauté à la bouche. Dans le spectacle, lorsqu’elle fait son entrée, elle est éblouissante.

© Boccalini

Dans le rôle de Stépane Trofimovitch, Elia Schilton est lui aussi sublime. Ses phrases pompeuses, son usage excessif du français, ses crises d’hystéries envers sa chère amie Varvara suivies de ses  plus vifs regrets et de ses interminables lettres d’excuses, ses enfantillages, ses discussions libérales avec son cercle d’amis, sa soi-disant mauvaise réputation dans les plus hautes sphères et qui se résume finalement à une vie des plus confortable sous la protection de son amie, et également sa lucidité, quand avec une grande sincérité, il s’adresse à son confident, lui révélant cette terrible vérité : « je ne suis qu’un pique-assiette ! ». Sa seule apparition provoque le sourire.

Il y a bien sûr aussi le personnage central, Nikolaï Stravroguine, figure démoniaque autour de laquelle se nouent les complots et les abominations, interprété par Ivan Alonsio avec beaucoup d’élégance, Rosario Lisma, dans le rôle de Chatov, Alessandro Averone dans le rôle de Piotr Stépanovitch, le plus salopard parmi les salopards, Maddalena Crippaet, femme autoritaire, et tous les autres encore, que nous ne citerons pas car ils sont 26 en tout et que cela risquerait fortement d’alourdir cet article… Un petit clin d’œil néanmoins au pianiste qui rythme cette formidable aventure.

On aura quitté la trace.
On est perdus… Un démon
Nous promène et nous pourchasse
Et nous fait tourner en rond.

I Demoni est un spectacle profond, étourdissant, métaphysique, extrêmement drôle par moments et qui tout en suscitant des émotions invite le spectateur à une véritable réflexion.

I Demoni
– italien surtitré –
De
: Fedor Dostoïevski
Adaptation et mise en scène : Peter Stein
Décor : Ferdinand Woegerbauer
Costumes : Anna Maria Heinreich
Musique : Arturo Annecchino
Lumière : Joachim Barth
Avec : Ivan Alovisio, Alessandro Averone, Carlo Bellamio, Paola Benocci, Armando de Ceccon, Maddalena Crippa, Maria Grazia Mandruzzato, Luca Iervolino, Pia Lanciotti, Rosario Lisma, Paolo Mazzarelli, Andrea Nicolini, Franca Penone, Fulvio Pepe, Graziano Piazza, Franco Ravera, Antonia Renzella, Riccardo Ripani, Matteo Romoli, Fausto Russo Alesi, Elia Schilton, Federica Stefanelli, Peter Stein, Nanni Tormen, Irene Vecchio, Giovanni Visentin, Giovanni Vitaletti, Arturo Annecchino, Massimiliano Gagliardi

Du 18 au 26 septembre 2010

Théâtre de l’Odéon – Ateliers Berthier
Angle de la rue André Suarès et du Bd Berthier, 75 017 Paris
www.theatre-odeon.fr

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