ƒƒ article de Denis Sanglard
© Pascal Victor
C’est une fable, un conte cruel, une tragi-comédie. Un regard sur notre monde pourrissant où le bien, individuel et commun, est insupportable, où le mal devient la raison paradoxale et nécéssaire à notre besoin irrépressible de culpabilité. Marie Ndiaye signe une pièce d’une radicalité extrême, une vision de l’humain dans ce qu’il porte d’insondable et de mystérieux, de vulnérable aussi. Pièce politique, fable sociale, d’une remarquable sobriété qui ne tombe jamais dans le « tous pourri » ni le manichéisme outrancier et le jugement. Opposant deux figures de la politique, l’élue intègre et l’adversaire rêvant de sa chute, elle interroge les mécanismes humains, publics et intimes, à l’oeuvre devant l’action politique et la faute, la culpabilité. Mais Marie Ndiaye renverse la proposition en partant d’un postulat original, combien l’intégrité peut être insupportable voire incompréhensible. Comme si le coeur battant, le nerf de la politique ne pouvait être que la corruption jusque dans son aspect irrationnel, compulsif. Une logique propre à un système où prévaudrait finalement le mal et la culpabilité devant l’insoutenable vertu. Un mécanisme pervers auquel le peuple, à qui il est fait appel par le suffrage, participe. Crédule et capable lui aussi de se retourner contre l’élue pour s’allier au pire.
Une campagne électorale en bord de mer. L’élue, femme intègre, oeuvrant au bien de la communauté, retrouve le même adversaire. Lequel, admiratif malgré tout de cette femme probe, remâche sa probable et prochaine défaite. A moins, décide son conseiller Sachs, de lui mettre dans les pattes quelques chose de « franchement dégueulasse » pour l’abattre. Le piège sera deux vieux qui débarquent un jour chez l’élue, affirmant être ses parents. Elle ne s’en défend pas et les accueille même si ses derniers sont morts depuis longtemps. Comme elle ne se défendra pas des calomnies immondes que ces deux là, odieux, colportent dans toute la ville. Pas plus qu’elle ne réagira à la trahison de ces propres adjoints. Attitude incompréhensible, suicidaire politiquement. Qui va jusqu’à troubler son adversaire même. Jusqu’à faire se détourner ses électeurs pour le pire. Non pas des ragots rapportés mais de cette attitude résolument mutique.
Frédéric Bélier-Garcia signe une mise en scène sobre, nette, attentive aux contradictions des personnages, leur ambivalence. Une direction d’acteur au cordeau qui frappe par son intelligence et sa retenue. Rien de trop, jamais, dans ce qui pourrait très vite devenir caricatural. Des ors de la république il ne retient que les espaces immenses, salles d’apparat ou gymnase, majestueux ou fonctionnels, qui renvoient les personnages à leur fonction mais tout aussi paradoxalement à leur solitude, à leur contradiction. Patrick Chesnais, l’opposant, est tout simplement formidable. Loin d’être un bloc, c’est un adversaire en proie aux doutes, fragile. Admiratif de l’Elue, conscient de la saloperie faite, au final vaincu dans sa victoire voulue et obtenue. Isabelle Carré, l’Elue, en pantalon-tailleur blanc, captive par son mystère. Elle ne livre rien, absolument rien. C’est de bout en bout une énigme. Elle traverse la pièce, impénétrable, mélange de fragilité et de force, offerte à la vindicte sans qu’elle ne bronche, « parce que cela ne sert à rien ». Chantal Neuwirth et Jean-Paul Muel sont deux vieux salopards idoines, parfaites figures de méchants de contes pour adultes.
Evidemment nous sommes frappé par la concordance avec les affaires qui secouent notre démocratie essoufflée. L’écho des affaires Fillon et Le Pen résonnent indubitablement dans la salle Renault-Barrault. Et s’il fallait mesurer combien Marie Ndiaye avait vu juste, non dans les affaires elle-même, triste lot quotidien de la république, mais dans ses conséquences terribles, c’est dans une petite scène, pas la plus importante sans doute mais la plus prémonitoire. Quand La Femme venu remercier l’Elue de son intervention pour résoudre son problème, se détourne d’elle par ce qu’elle ne comprend pas cette volonté devant les faits calomnieux à ne pas réagir. Cette incompréhension là est le berceau du pire. C’est justement là où est la force de la pièce, outre son écriture nette et précise, concise, de Marie Ndiaye, d’avoir placé en son centre, mais en arrière plan, les conséquences irrémédiables du fossé qui sépare aujourd’hui les élus des électeurs. Glaçant.
Honneur à notre élue
De Marie Ndiaye
Mise en scène de Frédéric Garcia-Bélier
Avec Isabelle Carré, Patrick Chesnais, Jean-Charles Clichet, Claire Cochez, Romain Cottard, Jan Hammenecker, Jean-Paul Muel, Chantal Neuwirth, Agnes Pontier, Christelle Tual
Avec les voix de Sarah-Jane Sauvegrain, Sébastien Eveno, David Migeot
Collaboration artistique Caroline Gonce
Scénographie Chantal Thomas
Lumière Roberto Venturi
Son et création musicale Sébastin Trouvé
Vidéo Pierre Nouvel
Costumes Pauline Kieffer
Assistée de Camille Pénager
Maquillage et coiffure Catherine Nicolas
Régie et artiste de complément Jean-Christophe Bellier, Sacha Estandiédu 1er au 26 mars 2017 à 21h
dimanche 15h, relâche les lundisThéâtre du Rond-Point
2 av. Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
M° Frankin Roosevelt
réservations 01 44 95 98 21
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