© Jean Couturier

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Suzuki Matsuo, metteur en scène et auteur japonais, icône de la culture japonaise, signe avec Go-on ou le son de la déraison, une œuvre noire et baroque, trash, cash, complétement barrée. Avec cette question qui traverse cette œuvre plus profuse que confuse car sous le chaos apparent Suzuki Matsuo sait très bien où il va : et Dieu dans tout ça ? Tenter de résumer ce qui, deux heures durant, explose sur le plateau, relève ici pour un chroniqueur de l’exploit – soyons immodeste – tant cela part dans tous les sens. Dieu donc. Au sortir d’une fête foraine un couple discute de l’existence de Dieu. Au moment où l’épouse trouve la réponse et la preuve de son existence une voiture l’écrabouille et la plonge dans le coma. Le mari furieux ne pas avoir la réponse attendue séquestre le chauffeur, une chanteuse criblée de dettes, tentant un come-back avec des chansons larmoyantes et sirupeuses tirée de sa vie passée à s’occuper de sa vieille mère. Ajoutons à cela un homosexuel narcissique entouré de ses clones, une vieille femme ex-escorte girl pour Jack Nicholson durant la promotion de ce dernier pour Shining, vengeresse et bientôt atteinte d’Alzheimer, un agent-maquereau véreux, un frère et une sœur débarqués de province pour faire carrière dans le show-business et bientôt prostitués… On y parle argent, sexe, des attentats du 11 septembre, du SIDA… Et la question de Dieu. Toujours. C’est une pièce au vitriol, une satire du Japon dans ce qu’il peut y avoir de plus absurde, voire de laid dans les sentiments. Tous les clichés sur un Japon moderne et policé retournés ici comme une crêpe. Une satire féroce sur les sentiments humains en général, sur leurs tristes échecs, les choix hasardeux et contradictoires qui mènent à la catastrophe. Un état des lieux du monde comme il va, c’est-à-dire mal et bien mal-barré. La pièce fut créée en 2002 et s’avère de façon troublante ici prémonitoire. Plus existentialiste au fond que spiritualiste. Dieu semble rester aux abonnés absents ici, ne résider que dans la question même de son existence et devant ce vide l’humanité bien démunie et triviale. Alors sur le plateau ça pétarade, ça fuse, ça galope, on finit par ne plus rien comprendre. On s’y perd, on accepte de s’y perdre, on lâche prise, on se lâche et on rit franchement. Nous n’avons pas toutes les clefs tant les référence au Japon crépitent. Jeux de mots ou comportement culturel, il est beaucoup question de Doguza, cet art de l’excuse propre aux japonais. Mais qu’importe, c’est jubilatoire tant ça dézingue dans tous les coins dans ce formidable décor blanc laiteux, aseptisé, où les acteurs en font des tonnes avec maestria et talent sans jamais tomber dans le vulgaire ou la caricature. De la tenue, toujours, même dans le scatologique. Car ils vous jouent ça avec un naturel confondant, désarmant, et pourtant jamais vraiment naturaliste, comme décalés d’eux-mêmes et de la réalité. Eux aussi sont complétements azimutés. Excentriques, on peut dire ça. Ils chantent, dansent, parce qu’il y a aussi un petit côté cabaret. Les chansons tombent comme un cheveu sur la soupe. Et les danses sont au diapason du propos, une gestuelle chaotique plus proche du manga que du ballet contemporain. Cette gestuelle qui caractérise le travail de Suzuki Matsuo. Comme empêchée d’atteindre son but, détournée de son intention première. Ce qui donne une impression parfois de frénésie incontrôlable ou de hoquet intempestifs. Suzuki Matsuo réinvente le burlesque et parie sur le grotesque. Les situations les plus scabreuses, car il est ici aussi question de merde, ce qui a son importance, de sexes, tout aussi important, sont assumées avec un aplomb formidable. Parce que dans la merde, nécessaire dans la chaîne alimentaire, se trouve peut-être, enfin !, dirons-nous, la réponse, et Dieu dans tout ça ? Ce qui nous vaut juste avant le final une scène hilarante et pour tout dire invraisemblable dans les toilettes d’un hôpital. Quand un personnage se métamorphose en cuvette de WC, le résultat est décapant. Quant au final Suzuki Matsuo n’hésite pas et c’est franchement culotté. Aurions-nous pu imaginer que la question – et la réponse de fait – qui taraude Suzuki Matsuo avait peut-être son origine dans le fondement de tout individu ? Mais quel bonheur d’oser ça ! Plus globalement d’oser un tel objet théâtral hors-norme, faisant fi de la bienséance, en en jouant même, où ne plus rien y comprendre, ou par bribe, fait aussi partie du plaisir du spectateur quelque peu ébranlé par ce qui se passe sur le plateau et qui ne cesse de le déstabiliser. Mais ce qui frappe et qui séduit, c’est la liberté de Suzuki Matsuo et cette liberté-là, jubilatoire, cette générosité aussi, qui n’oublie pas la critique féroce, est un formidable moment de théâtre partagé. Avec ou sans Dieu.

Go-on ou le son de la déraison texte et mise en scène de Suzuki Matsuo

Avec Suzuki Matsuo, Kami Hiraiwa, Shoko Ikezu, Shima Ise, Tom Miyazaki, Sarutoki Minagawa, Seminosuke Murasagi, Miwako Shishido et Elizabeth Marry (danseuse-accessoiriste)
Scénographie Tomoyuki Ikeda
Lumières Satoshi Sato
Son Akame Fujita
Chorégraphie Masako Yasumoto
Costumes Kyoko Toda
Maquillage Kazumi Owada
Video Taiki Ueda
Assistants mise en scène Koui Ohori et Ryoko Sato

Du jeudi 5 au samedi 7 octobre 2017
Jeudi et vendredi 20h, samedi 15h

Maison de la Culture du Japon
101bis quai Branly
75015 Paris
Réservations 01 44 37 95 95
www.mcjp.fr

Festival d’Automne à Paris
Réservations 01 53 45 17 17
www.festival-automne.com

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