Critiques // « François d’Assise » d’après Joseph Delteil, adaptation Adel Hakim et Robert Bouvier

« François d’Assise » d’après Joseph Delteil, adaptation Adel Hakim et Robert Bouvier

Juin 09, 2010 | Aucun commentaire sur « François d’Assise » d’après Joseph Delteil, adaptation Adel Hakim et Robert Bouvier

Critique de Monique Lancri

Le spectacle auquel le théâtre Artistic Athévains nous convie se nomme « François d’Assise » et non « Saint François d’Assise » : la différence est d’importance. Il s’agit, en effet, de l’adaptation d’un texte de Joseph Delteil (1894-1978), lequel a toujours insisté sur la « sainteté » en quelque sorte « laïque » de François, un homme qui, selon lui, « ensainte » les hommes  précisément parce qu’il a su, son existence durant, ne conserver des attributs de la sainteté que l’ouverture au monde. La magnifique adaptation d’Adel Hakim et de Robert Bouvier respecte l’anticonformisme et l’originalité d’une telle vision. La langue proférée sur scène par François (Robert Bouvier) est si poétique, si sensuelle, si lyrique et si simple à la fois que l’on ne sait pas ce qu’il faut admirer le plus : la plume de l’auteur, la réécriture des adaptateurs ou encore ce qui confère à ce texte cœur, corps et chair, à savoir la diction de l’acteur.

Une vie mise à nu

© Marion Duhamel

Ce qui va nous être raconté – car il s’agit bien, pour partie, d’un récit – c’est la vie de François d’Assise. Une histoire narrée par lui-même, dans l’ordre le plus classique qui soit : de sa naissance à sa mort. Mais comment suggérer sur le plateau d’un théâtre, lieu clos par excellence, l’ouverture si totale au monde qui fut celle de François ? Comment montrer celui-ci baignant en permanence dans la nature ? Comment faire passer la rampe à son panthéisme ? A ces questions, essentielles, le metteur en scène Adel Hakim a su répondre en homme de théâtre accompli. Pas de petites fleurs sur le plateau, pas d’arbres, fussent-ils « fous d’oiseaux ». Rien de mièvre ou de sucré dans le style d’une imagerie symboliste ou préraphaélite. Tout le contraire : un décor quasiment nu. Minimaliste. Avec, à droite comme à gauche et aussi en fond de scène, de grands panneaux verticaux. Métalliques, d’un gris anthracite, ceux-ci ne sont pas sans rappeler, toutes proportions gardées,  les superbes panneaux dressés par Richard Serra, il y a peu, lors d’un éphémère  Monumenta au grand Palais : les uns et les autres invitent à la méditation. Seul contrepoint, aux Athévains : une borne dans les mêmes tons de terre, installée comme un tabouret, sur un sol argileux. Une borne, semble-t-il, en attente, juste avant le lever du rideau.  Mais le lever de rideau est ici remplacé par un fondu au noir. Quand la lumière revient, François est assis de profil sur la borne : c’est le moment de sa conception. Vient ensuite celui de sa  naissance : l’acteur se lève et raconte. Une bonne heure plus tard, en fin de spectacle, nous le retrouvons sur cette même borne. Dans la posture du début : position alors fœtale, maintenant fatale. Il va mourir, il est mort. Noir.

Singulier / Pluriel

François d’Assise (1181-1226) parle ici tel un homme de notre temps. Dans son récit, les anachronismes abondent. Ils ne nous choquent pas. François « embrasse » bien toute la terre et tout l’espace, pourquoi n’embrasserait-il pas, de même, tous les temps ? Ainsi compare-t-il, d’entrée de jeu, son arrivée sur terre à celle de Robinson Crusoé sur son île. L’un comme l’autre, venus là par hasard, « débarqué(s), jeté(s) à la côte, tombé(s) du ciel ». Mais Robinson reste bien seul alors que François se meut au milieu de drôles de créatures : « brassues et pattues, mi-insectes, mi-mammifères : les hommes quoi ! » Ces créatures, François va les aimer car ce sont ses frères. Comme sont ses frères les oiseaux, les mouches, les fleurs, les brins d’herbe, les atomes…Il ne choisit rien ni personne (à deux exceptions près, Claire, Sœur Jacqueline…), et c’est ainsi qu’il se retrouve seul : seul à étreindre le grand Tout, comme si le singulier de cette solitude-là était la condition d’une ouverture au pluriel. Très belle image que nous offre alors Robert Bouvier de cet embrassement. D’un véritable embrasement : dépouillé de tout vêtement, ayant quitté famille et patrie, dos au public, bras et jambes écartés, François, plus singulier que jamais, se donne tout entier au pluriel de l’univers. En contrepoint du cube scénique, lui-même ramassé en abyme dans le cube de la borne, une sorte de disque  lumineux  apparaît à ce moment là sur le mur sombre du fond de  scène : traditionnellement associé au registre des affaires bassement terrestres, le cube s’est mué en cercle ou sphère, traditionnellement associé(e) au registre du céleste et à l’ordre du divin.

Seul comme Robinson ?

© Marion Duhamel

Oui : seul comme Robinson mais pas pour autant esseulé. Car seul au milieu du Tout. Et volontairement tel. Refusant « la vie à vide, la tyrannie du calendrier (…) [celle d’un] condamné à son pays, à son époque, à son espèce (…) à perpétuité ». Parfois, pourtant, la tentation  est grande, pour François, de rejoindre le troupeau de l’humanité. Ainsi voyons-nous, médusés, Robert Bouvier enjamber la rampe et sauter dans la salle pour venir s’asseoir au premier rang, à côté des spectateurs, le regard à son tour, comme le leur, fixé sur la scène qu’il vient de quitter et murmurer d’une voix un peu lasse : « j’aimerais rester ici, longtemps, toujours … [un long silence]. J’ai vingt sept ans, l’âge où l’âme prend du corps ». Mais l’hésitation ne dure pas. D’un bond, Robert Bouvier rejoint la scène et François retourne à la « chasse à Dieu ».

Une performance d’acteur

Il faut saluer la performance de l’acteur, la prouesse de Robert Bouvier. Après plus de 270 représentations de cette pièce, en Suisse, au Québec et en France, il nous donne l’impression de jouer, pour nous, comme au premier matin du monde : un exploit digne de ce que prônait François. Pendant une heure trente, il n’économise ni sa voix, ni son corps. Il nous communique un arc-en-ciel de nuances : ferveur, enthousiasme, doutes, sensualité, souffrance. Peu d’accessoires pour l’aider en cette tâche, mais toujours très suggestifs. Par exemple ce sac en plastique qu’il apporte sur scène au moment où il décide de quitter le magasin de tissus de ses parents. Il en sort d’autres sacs en plastique différemment colorés qu’il jette au sol. C’est simple, c’est beau : ainsi s’envolent les tissus de la boutique !

Bouvier n’est pas moins conteur que mime. (Notons au passage que, sans qu’il y ait jamais d’ambiguïté, la narration se fait ici tantôt à la première personne, tantôt à la troisième). Nous demeurons suspendus aux lèvres de l’acteur autant qu’à  ses gestes quand, par exemple, il nous raconte et simule à la fois la rencontre de François et du Lépreux. Il faut voir la main droite de Bouvier mimant François chevauchant un fougueux destrier, galopant avec ardeur pour se battre contre l’ennemi. Mais voici qu’entre en jeu la main gauche, soit le lépreux qui s’avance tranquillement vers le cavalier. Superbe moment de théâtre ; et d’autant plus saisissant que ce moment s’avère le moment crucial de la conversion de François. Une conversion au sens propre puisque François tourne le dos aux ennemis : le lépreux ne vient-il pas de lui ouvrir les yeux ? C’est en lui-même qu’il lui faut chercher l’ennemi.

De la frangipane comme fin mot et mot de la fin

A partir de cet instant, François va suivre son chemin jusqu’au moment de mourir, ce qui pour lui signifie quitter tous ces « frères » qu’il aura tant aimés. Ses derniers mots dans la pièce : « Frère Jacqueline… un peu de frangipane ».

Ainsi nous est proposée, à la fortune du mot, comme fin mot et mot de la fin, une friandise (ici verbale) où se résument l’amour des femmes, la fraternité,  l’appétit de tous les sens et cette gourmandise envers les choses de la vie où François  (alias Delteil) voyait vertus et non péchés.

François d’Assise
D’après : Joseph Delteil
Adaptation : Adel Hakim et Robert Bouvier
Mise en scène : Adel Hakim
Jeu : Robert Bouvier

Du 8 juin au 11 juillet 2010

Théâtre Artistic Athévains
45 bis rue Richard Lenoir, 75 011 Paris
www.artistic-athevains.com

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