Critiques // « Forêts » de Wajdi Mouawad à Chaillot (Trilogie)

« Forêts » de Wajdi Mouawad à Chaillot (Trilogie)

Sep 18, 2010 | Aucun commentaire sur « Forêts » de Wajdi Mouawad à Chaillot (Trilogie)

Critique d’Anne-Marie Watelet

Cette pièce est le troisième volet d’une trilogie dont les deux premiers sont Littoral, et Incendies écrits par Wajdi Mouawad qu’il a mis en scène lors d’une création en 2009 à Avignon.

« Le passé mystérieux nous hurle sa présence ».

© Jean-Louis Fernandez

Loup, jeune fille de 16 ans plonge dans le gouffre de ses origines familiales pour comprendre qui elle est. Odette, Hélène, Léonie, Ludivine et Sarah, puis Luce et enfin Aimée, sa mère, sont toutes liées par le sang. Aux côtés d’un paléontologue qui, sans relâche, analyse les fragments d’un crâne humain trouvé dans un camp de concentration en 1946, Loup et ces femmes s’engagent à rechercher et déchiffrer les énigmes de leur naissance bafouée et tragique. Amours brisées par l’Histoire (guerres de notre siècle), amours contre-nature ou cachées, elles portent dans leur chair et leur coeur une faille qui mène certaines à la mort ou à la folie.
Mais ce qui les relie inexorablement c’est le fil ténu des promesses qu’elles ne pourront tenir. Une seule sera honorée, celle du don de soi, cimentée par l’amitié entre Ludivine et Sarah. Les prophéties pesant sur cette lignée nous ramènent à la nuit des temps, comme au destin tragique de la famille des Atrides. De la forêt des Ardennes au Canada (où l’auteur a vécu), Lou sera forcée d’aller jusqu’au bout.

© Jean-Louis Fernandez

L’habile construction de la pièce, entrecroise les histoires et les époques : les dix comédiens qui interprètent dix-sept personnages, racontent et jouent sur la simultanéité : tout ce qu’ont vécu femmes, frères… se déroule sous nos yeux et les scènes superposées sur le plateau nous plongent dans leur univers et notre siècle. Jamais ennuyé, le spectateur apprécie la stylisation des actions réduites à l’essentiel. Tout est montré -accouchement, inceste, accouplement- sans jamais être malsain. Les comédiens jouent avec naturel et justesse de ton. Des  moments d’amour ou de souffrance fusent avec une passion tragique qui nous émeut au plus profond. Et l’accompagnement musical rythme et ajoute aux différentes atmosphères les accents de la vie des personnages.
Les mots sont simples, efficaces autant qu’expressifs et poétiques parfois. Le texte dans la mise en scène, est plein d’imagination et quelques petites saillies amusantes permettent de ne pas tomber dans la seule gravité. La scénographie très inventive met en valeur sur le plateau le symbole de la filiation à reconstruire par la présence du crâne dont il faut rassembler les morceaux, morceaux de vie et de cendres.

Exils, voyages, rencontres, poètes, Mouawad s’en sert pour écrire des mots, des mots que l’on vient écouter pour risquer « d’être perturbé, inquiété, déplacé dans ses croyances » et en apprendre sur soi, dit-il.
Le théâtre n’a-t-il pas pour mission de nous sortir des ténèbres ? C’est ce à quoi travaille Mouawad et nous lui sommes tellement reconnaissants !

Forêts
Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad
Assistant à la mise en scène : d’Alain Roy
Scénographie : Emmanuel Clolus
Avec : Jean Alibert, Gérard Gagnon, Yannick Jaulin, Linda Laplante, Catherine Larochelle, Marie-France Marcotte, Bernard Meney, Anne-Marie Olivier, Marie-Eve Perron, Emmanuel Schwartz, Guillaume Sévérec-Schmitz

Du 16 au 19 septembre 2010
Dans le cadre de la
Trilogie Wajdi Mouawad [Littoral | Incendies | Forêts]

Théâtre National de Chaillot
1 place du Trocadéro, 75 016 Paris
www.theatre-chaillot.fr

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