Critique de Denis Sanglard –
Méfiez vous de la nature !
Pour ceux encore tentés par un retour à la nature, cette création décapante devrait sans doute les dissuader. Si le titre, Flesh and Blood & Fisch and Fowl, renvoie à cet exercice de style pictural dit « nature morte » en français, le terme anglais « still life » serait plus exact, du moins au commencement. Soit quelque chose en suspend, en attente.
Ici nous sommes plus près du tableau de chasse. Et même d’un joyeux jeu de massacre. Dans un immense bureau minable, open space crasseux, deux employés s’affairent. A quoi ? Leurs tâches semblent aussi vaines que leur querelle. La vacuité du lieu n’a d’égal que la vacuité de leur job. Entre jeux de séductions et de pouvoir où l’on se chipote à mort pour un crackers salé ou l‘étalage consciencieux de post-it sur lesquels rien n‘est écrit, les occupations incongrues et loufoques ne manquent pas. Jusque là rien que de très banal. Certes quelques feuilles mortes remplissent indument un tiroir de bureau, une plante verte pousse soudainement dans le lavabo et un ragondin traverse tranquillement le plateau. Sans oublier une poule dans le photocopieur.
© Jason Frank Rothenberg
Cela commence donc comme une satire grinçante et réussie de la vie de bureau. Avant que de glisser inexorablement vers quelque chose de plus pernicieux. Pas la fin du monde, non, juste l’extinction de l’espèce humaine. Jerry et Rhoda, nos deux clowns, sont peut être les derniers représentants pitoyables de notre humanité en déroute. A moins qu’ils ne soient les derniers survivants, pour peu de temps encore, d’un cataclysme déjà advenu. Quoiqu’il en soit si nous rions beaucoup devant ces deux énergumènes et leur minable comportement peu à peu quelque chose s’annonce de la catastrophe finale qui nous rend soudainement attentif et insécure. Quelque chose ne semble plus tourner rond et l’espace est bientôt envahi sans que nous y prenions garde. La nature reprend ses droits et méchamment, pour ne rien dire d’une fin proprement hallucinante.
Geoff Sobelle et Charlotte Ford signent une création caustique et brillante, déjantée et poétique, une fable burlesque et féroce. Clowns et mimes forment un duo génialement désaccordé, et, filons la métaphore, mariage de la carpe et du lapin, perdu soudain dans un monde devenu hostile. Peut être et sans doute ont-ils compris que l’avenir vire naturellement à la catastrophe et qu’il vaut mieux en rire. L’actualité récente ne leur donne pas vraiment tort. Mais rien de démonstratif ni de lourd dans cette création. C’est très drôle et subtil. En conclusion, l’ours est l’avenir de l’homme. Militons pour sa réintroduction.
Flesh and Blood & Fish and Fowl
De : Geoff Sobelle et Charlotte Ford
Avec : Charlotte Ford et Geoff Sobelle
Marionnettiste : Jay Dunn
Scénographie : Jessica Grindstaff et Erik SankoDu 14 au 23 juillet
Dans le cadre du festival Paris Quartier d’EtéMaison des métallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75 011 Paris
www.maisondesmetallos.org