À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements, Expériences Théâtrales Innovantes, Festivals // Festival Teatro a Corte, le théâtre européen dans les Demeures Royales du Piémont.

Festival Teatro a Corte, le théâtre européen dans les Demeures Royales du Piémont.

Juil 30, 2015 | Commentaires fermés sur Festival Teatro a Corte, le théâtre européen dans les Demeures Royales du Piémont.

Article Camille Hazard

 

8025614-12494382

 

Le Festival Teatro a Corte, présenté tous les ans à Turin et ses environs, tient une nouvelle fois ses promesses tant artistiques, qu’historiques, gastronomiques, se situant toujours au cœur des problématiques de notre monde.

L’ambition première de Beppe Novello, Directeur de la Fondation Teatro Piemonte Europa, est de faire battre à l’unisson, des expériences artistiques innovantes avec les Demeures Royales du Piémont qui bordent Turin depuis des siècles. Les spectacles présentés sont tous choisis et pensés in situ pour que l’Art poursuive son dialogue avec l’Histoire. Ainsi la Compagnie Espagnole de danse verticale, Delrevés, investit la façade principale de l’un des plus beaux Palais, Venaria Reale. Arkè Danza et la Compagnie Lunatic, ont tous deux présenté des spectacles de danse au Château Agliè, bâti il y a sept siècles…Cette ambition bienheureuse favorise l’activité et la vie dans des lieux qui pourraient souffrir d’immobilisme culturel et permet de raffermir notre regard sur les créations contemporaines, qui sans les différentes époques et les tentatives artistiques passées, n’existeraient tout simplement pas.

Le Festival est également ouvert sur ce qui se passe autour, ailleurs, et reste à l’écoute du monde ; cette année, en complicité avec l’Exposition Universelle à Milan, l’un des thèmes choisis est « Nourrir la planète ». Des élèves en scénographie de L’Accademia Albertina de Turin, on imaginé un banquet interactif, opposant la question du plaisir de la table et des moments de partage avec la problématique de l’environnement, de la discrimination sociale et du gaspillage.

Con-Vivium Crédit photo Lorenzo Passoni

Con-Vivium
Crédit photo Lorenzo Passoni

Dans le magnifique jardin de la Venaria Reale, un parcours conçu par l’artiste italienne Alice Delorenzi, nous emmène sur les traces de la production industrielle en masse ; le public, guidé par deux maîtres de cérémonie, s’enfonce dans les rouages de la « mal bouffe » jusqu’à se retrouver lui même cuisiné…une proposition originale et ludique qui sonne l’alarme…quand on sait que Mac Donald Finance l’Exposition Universelle, consacrée à l’avenir de la nourriture…

Et pendant le festival, le public se voit proposer des spectacles gastronomiques, où la vivacité artistique se mêle aux meilleurs produits régionaux du Piémont, tout cela dans des cadres royaux ! Une belle promesse de partage, de convivialité et d’engagement pour la qualité.

Chaque année, un pays est choisi comme vitrine du festival. Cet été, l’Allemagne est à l’honneur avec pas moins de six compagnies d’art de la rue, marionnettes, théâtre et performance.

Voici un aperçu des spectacles que nous avons pu découvrir lors de ce festival

 

Vitrine allemande – nous, moi et mon corps

 « Qu’est-ce que l’être humain ? »

Lors du second week-end, nous avons pu voir Intimitäten, une belle proposition alliant performance et vidéo. Un seul en scène dans lequel l’artiste Iris Meinhardt explore son corps à l’aide d’une caméra ; Le corps comme terre inconnue. Ses pérégrinations extérieures et intérieures offrent un regard nouveau, bousculent les images du corps sociales, du corps de la femme pour parvenir à un corps libéré, à un corps total. Des projections d’images, filmées en direct, se superposent au corps de l’artiste, s’intègrent, se renversent, donnant naissance à des créatures inconnues. L’artiste évolue sur le plateau dans un costume du XVIème siècle, avec corset et armature en cerceaux, amenant une intemporalité à la question du corps, de l’image et de la condition féminine.

intimitaeten 04

Intimitäten

« Qu’est-ce qu’on fait là en ce moment ? »

Au Théâtre Astra, la Compagnie Gob Squad interroge notre relation aux images et aux médias. Sur une scène où se mêlent plateau de télévision, écran vert, table de banquet, mille et un objets en tout genre, deux hommes et une femmes tentent de reproduire une vidéo postée sur Youtube d’une famille californienne en plein exercice de Karaoké ; la vidéo la moins regardée du net, la plus inintéressante… On retient du spectacle surtout l’étonnant prologue qui ouvre ce spectacle « pop rock ». Adam et Eve apparaissent nus avec talons hauts et perruques. Un écran fait défiler les années en partant d’il y a un million d’années pour s’arrêter en 2015. Adam et Eve, rejoints par un comparse, évoluent d’époque en époque avec ce même besoin d’être regardé, scruté, admiré… Une bande son retrace toute notre histoire à l’aide de bruits et de repères sonores (chants grégoriens, clavecin, baïonnettes, bateau à vapeur, sonnerie de téléphone…).

À travers l’idée originale de reproduire fidèlement cette scène familiale d’un ennui mortel, Gob Squad passe au crible notre mutation sociétale qui tourne à l’absurde et nous renvoie à notre propre déchéance. Les photos que nous postons sur les réseaux sociaux, où que nous voyons omniprésentes à la télévision, sont-elles des images ou de la mémoire ?…

Wester Society  © La Maison des Arts de Créteil

Wester Society
© La Maison des Arts de Créteil

 

Marionnettes présentes, marionnettes vivantes

 « L’avenir c’est deux mains ! »

Toujours au Théâtre Astra, le Turak Théâtre met la politique capitaliste et commerciale à feu et à sang ! Un orchestre tente de survivre à la crise économique, une grève est organisée, la lutte pour la musique bat son plein…Mais l’ « esprit individualiste », distillé par une voix criarde, fait entrer un loup dans la bergerie ; un musicien prône un autre combat celui du « chacun pour soi ». Au chômage, les musiciens vont tout imaginer pour continuer à jouer de la musique… La poésie et la drôlerie qui se dégagent du spectacle, accentuent le dramatique de la situation. Les sujets sensibles comme la perte de l’emploi, l’isolement des individus, la voracité économique qui détruit les classes ouvrières… un tour complet et bien triste du monde capitaliste. La manière dont est traitée la place de l’artiste et de l’art au milieu de la politique du « profit coûte que coûte » fait grincer des dents. L’harmonie entre manipulateurs et marionnettes offrent une poésie rare ; les corps font tresse. La physionomie un peu lourde, un peu gauche des marionnettes est subtilement contrastée par leur inventivité ; ils imaginent de nouveaux instruments avec un bric à brac d’objets, tout en se battant contre un ennemi invisible et bien plus fort…

Sur les traces du IFTO Crédit photo Romain Etienne

Sur les traces du IFTO
Crédit photo Romain Etienne

« Frank Soehnle, filiation poétique »

A la suite du spectacle, le documentaire de la réalisatrice Manuelle Blanc présente le travail du marionnettiste à fil, Frank Soehnle. Cet artiste allemand raconte son parcours, ses doutes, ses recherches pour parvenir à une atmosphère fluide et aérienne avec ses marionnettes, à inventer continuellement de nouvelles formes… Pour illustrer ses propos, Manuelle Blanc s’appuie sur le projet de création Wunderkrammer – le cabinet des curiosités. On peut retrouver d’autres documentaires de la réalisatrice sur le site internet d’Arte.

Franck Soehnle: filiation poétique Crédit photo spectacle Wunderkrammer

Franck Soehnle: filiation poétique
Crédit photo spectacle Wunderkrammer

 

Venaria, de la rue au Palais

Coup de cœur pour la Compagnie Décor Sonore et son spectacle Urbaphonix. Ces cinq artistes venus de France, bouleversent notre perception sur des objets du quotidien, auxquels souvent, nous ne portons plus attention. Une déambulation dans la rue Via Mensa, nous emporte dans un moment de grâce ; un théâtre de sons faits d’objets et de surfaces qui peuplent nos rues ; pilonne, toit, cendrier, vélo, poubelle, grille… les artistes-musiciens jouent avec ses objets ; leur musique, amplifiée à l’aide de micros, recrée un espace sonore et poétique. Ici, la beauté nait de ce qui est déjà présent. Notre œil voit autre chose que ce que nous voulons voir par utilité. Les habitants de Venaria, les artistes, les festivaliers se mêlent autour de ses sons pour réinventer ensemble, la ville. Le message est magnifique, la poésie est partout et tout en chacun de nous ; quelques personnes du public se prêtent au jeu et deviennent instrument poétique ; sur la place ce soir, devant le Palais Venaria Reale, on joue de la casquette et du lacet !

Urbaphonix Crédit photo Michel Lagarde

Urbaphonix
Crédit photo Michel Lagarde

Après ce magnifique parcours sonore, le Palais Venaria Reale, nous ouvre ses portes et sa façade principale pour un spectacle sensuel sur le monde de la nuit. Guateque, réunit de la danse verticale, de la musique live et de la vidéo projetée sur l’immense bâtiment. Deux personnages, la nuit, lors d’une fête se rencontrent, se jaugent, s’évitent, se rapprochent…se cherchent et bien sûr se trouvent. Ils montent et descendent le long de la façade du Palais sur de la musique rock. Les vidéos concentrées sur leur visage nous font pénétrer dans leur intimité pendant que les corps dialoguent par mouvements et impulsions.

 

Guateque Crédit photo Serge Decoster

Guateque
Crédit photo Serge Decoste

Le Festival Teatro a Corte est certainement l’un des plus convivial et original compte tenu de la programmation et de la beauté qu’offre la ville de Turin ; écrin délicieux où les trattoria, les églises, les vastes places et le Po se regardent et promettent des moments enchanteurs de Dolce Vita.

Une zone d’ombre pourtant vient entacher le festival et la persévérance de l’équipe à programmer des spectacles de qualité. Comme beaucoup d’autres Festivals cette année, Teatro a Corte s’est vu diminué son budget global de plus de deux tiers. Les répercussions sont immédiates tant du côté artistique, moins de créations, que de l’organisation, disparition du lieu de vie du festival, point d’ancrage pour les festivaliers. Ainsi, nous espérons que le budget ne sera pas amputé une nouvelle fois et que Beppe Novello gardera avec toute son équipe, la force nécessaire pour faire perdurer ce festival de grande qualité, à quelques heures de Paris…

 A Turin,

Festival Teatro a Corte 2015
Du 16 juillet au 2 août 2015
www.teatroacorte.it

 

Be Sociable, Share!

comment closed