ƒƒƒ Article de Camille Hazard
Le Festival Teatro a Corte est un des plus beaux festival européen tant par sa ligne artistique que pour les lieux de représentation qu’il choisit d’investir. Toujours à l’affut d’innovations artistiques, de concepts originaux de qualité, Beppe Navello, le directeur du Festival, de la Fondazione Teatro Piemonte Europa et du Théâtre Astra, nous a offert une 10ème édition très réussie.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore ce festival, qui a lieu tous les ans à Turin et dans les demeures royales du Piémont, l’ambition artistique est de faire dialoguer des compagnies européennes (théâtre, danse, cirque, performance…) avec l’héritage architecturale de cette région riche en Pallazzo, en jardins et autres lieux chargés d’Histoire.
Les Limbes d’Étienne Saglio, programmé au Théâtre Astra, est certainement le coup de cœur de ce festival. L’artiste seul en scène avec quelques marionnettes nous fait pénétrer dans l’étendue des Limbes ; un voyage entre la vie et la mort dans lequel la lumière et la magie viennent confondre le public avec un monde inconnu. Un jeu de lumière très étudié fait disparaître le fond de scène, le sol, le corps du comédien… tout repose dans l’obscurité. Étienne Saglio revêt un pan de manteau de velours rouge, rehaussé d’une tête énigmatique. Le corps en vie et la tête « objet » commencent une étrange danse de combat pour échapper à la mort. Mais très vite, la distinction entre réel et imaginaire, entre vivant et objet se confond pour entrainer le spectateur dans une zone d’ombre et de lumière. Nos repères spatiaux temporels s’effondrent au profit d’une grande poésie. Du bout d’une épée, l’artiste fait apparaître du plastique dans les airs qui devient esprit fantomatique, ou parfois souffle de vie et par sa main, les objets s’animent et réclament leur place dans le monde des vivants. Sur le grand plateau vide et noir, se livre un étrange combat entre la vie et la mort, le combat d’un homme qui ne veut pas encore lâcher son pouvoir terrestre est emmené lentement dans les profondeurs de la nuit par des êtres sans âge.
Dans les demeures Royales du Piémont…
Deux performances liées à la vidéo et aux nouvelles technologies ont été présentées au château de Rivoli ; édifice construit au Xème siècle, propriété de la famille Savoie et transformé en Musée d’Art Contemporain depuis 1984, après maintes péripéties historiques et politiques. C’est dans une salle vide appartenant maintenant au musée, que la Cie Adrien M & Claire B présente leur nouvelle création Hakanaï ; un échange poétique entre une danseuse et une scénographie visuelle mouvante. Se tenant dans une boite tissée de toile transparente, la danseuse Akiko Kajihara fait entièrement corps avec les images vivantes projetées autour d’elle et sur son corps. La salle, le public, l’heure s’effacent pour laisser place à un combat fragile qui ne finira que lorsque l’ordinateur se sera tu. Le graphisme, les courbes, les lignes prennent possession de l’espace et rendent matière l’air que nous respirons. Particulièrement saisissant au début par sa capacité à faire dialoguer en direct la technologie et la danse, le spectacle tire un peu en longueur. Mais la chorégraphie très sensitive d’Akiko Kajihara entraine le spectateur dans une rêverie introspective. Précédemment invitée pour leur spectacle Cinématique, La Cie revient la saison prochaine à la Maison des Arts de Créteil où vous pourrez découvrir Hakanaï du 14 au 17 octobre.
Toujours dans l’embrasure des murs centenaires de Rivoli, Billie Cowie, compagnon de longue date du Festival, présente sa nouvelle création Under Flat Sky
Le spectacle créé au Japon est un langage poétique aux mille teintes. La vidéo, la danse et la musique font tresse pour créer un état de grâce subjuguant. Deux danseuses en mouvement devant un grand écran qui diffusent des images de peintures sur le sol et leur corps ; ces femmes font partie des peintures sans âge de l’artiste Silke Mansholt. En connectant l’image et les corps, Billy Cowie fait disparaître toute notion de chair et donc de vie. Un texte inspiré par des Haïkus (forme japonaise poétique, très codifiée), chante la douleur d’une femme en attente d’amour, qui se languit de solitude et de tristesse. L’artiste, qui a lui même composé pour ce spectacle une musique électro lancinante, obsédante, tout en courbes et en flots, façonne le corps de ses danseuses dans un travail de lenteur, de butô. Le temps s’étire, les images nous prennent et nous font voyager dans des temps immémoriaux. La construction, de la performance et sa précision, sont si intenses qu’un souffle d’air pourrait faire basculer cet instant de poésie pure.
Témoins du monde depuis plus d’un millénaire, les vieilles pierres rougies de Rivoli ont prêté leurs murs à des projections d’algorithmes, ont voyagé dans des temps inconnus, une belle preuve que l’art n’a pas d’âge…
Racconigi, château édifié à la fin du XIIème siècle par l’œuvre des marquis de Saluzzo, a questionné la place de la femme dans la société à travers deux spectacles très différents. Tout d’abord A string section, spectacle pour 5 performeuses, 5 chaises et 5 scies. Devant la façade arrière du château, cinq femmes, élégantes en tenue de concert prennent place sur des chaises en bois. Mais ne vous y trompez pas ! Nul concert, nulles notes de musique ne viendront ambiancer l’imposante construction des marquis ! La destruction frénétique de ces chaises est l’œuvre de cette performance très prometteuse. Telles des naufragées se cramponnant à leur embarcation de fortune, les danseuses circassiennes scient, cassent, découpent, arrachent dans un déchainement absurde, leur unique appareillage de survie. La compagnie Reckless Sleepers a commencé ce travail en 2013 et le spectacle prend différentes formes selon l’endroit et la capacité d’accueil. Parfois accompagné d’une chanteuse ou d’une violoncelliste, le spectacle a l’ambition ultime d’être joué avec 100 performeuses. La forme intimiste proposée lors du festival est apparue un peu pauvre même si très intéressante. Nous attendions un chaos scénique, un branle bas de combat plus extrême et un jeu de rythme des sons des scies plus présent.
Derrière cette même façade du château, le public a découvert les cages et les marques d’un terrain de foot dessinées dans l’herbe. Installés de manière bi frontale, nous avons applaudi avec quelques supporters, les deux équipes prêtes à en découdre ! Une équipe composée de joueurs professionnels et une équipe de danseuses. La Partida est assurément un spectacle original qui questionne la domination masculine dans cette pratique sportive mais également dans nos sociétés. Veronica Cendoya, danseuse et chorégraphe, souhaitait confronter le football et le théâtre ; un pari hautement périlleux mais tenu grâce à l’originalité de la conception. Tour à tour collective ou individuelle, la danse devient un moment de transes et de communion face à l’adversité des joueurs virils et à leurs passements de jambes. Une communion parvient à se tisser entre les équipes avec beaucoup d’humour et des moments d’extrême émotion. Car s’il ne s’agit « que » d’une partie de foot, le défi de compétition pour les danseuses, questionne très clairement la place des femmes et leur difficulté à s’imposer dans la société encore très patriarcale.
Soulignons qu’un partenariat intéressant est actuellement en marche grâce à Beppe Navello : construire un pont artistique entre différents lieux historiques d’Italie et de France. Ainsi des danseurs de la compagnie d’Ambra Senatore, offrant un parcours chorégraphié dans la Reggia di Venaria Reale, prendront possession des salles du château de Chambord pour une autre déambulation artistique, lors de la 33ème édition des Journées européennes du patrimoine, les 17 et 18 septembre prochains. Nous reparlons de cette initiative qui tend à questionner des lieux d’héritage et de patrimoine par de l’art vivant.
« Une ballade tellurique »
C’est également dans cette impressionnante demeure du Piémont, La Reggia di Venaria Real, que s’est clôturé le Festival Teatro A corte. Le Groupe F a embrasé les façades, les jardins et le ciel nocturne du Palais avec leur ingénuité pyrotechnique, leur poésie et leur capacité à présenter des événements spectaculaires. Ce soir-là, 4000 personnes ont foulé les jardins de la Venaria Reale pour connaître l’expérience du feu. Loin de se contenter d’un spectacle visuel, le Groupe F scénarise ses spectacles pyrotechniques avec la même exigence que sur un plateau monumental de théâtre. À Fleur de Peau nous immerge au milieu d’un feu dévastateur mais aussi purificateur ; Une estrade, des grues, des filins, des artistes en costumes ignifugés, des jeux de lumière incandescente, une bande sonore « futuriste sur le déclin », un entremêlement de technicité et de propositions artistiques, sont mis au service d’un spectacle qui questionne notre rapport au monde, à l’environnement et interpelle notre devenir humain face aux nouvelles technologies. Les briques rouges du Palais se sont habillés de feux et de flammes le temps d’une soirée exceptionnelle. Présent dans le monde entier pour des événements spectaculaires (nouvel an 2000 à la Tour Eiffel, à Dubaï…), le Groupe F promet à chaque spectacle, une expérience sensorielle à couper le souffle.
Côté pratique, pendant le festival, lors de chaque spectacle en dehors de Turin, une navette gratuite est mise à disposition des festivaliers.
Teatro a Corte offre le privilège de découvrir des spectacles qui sont totalement imaginés in situ : pour ce temps fort, pour un lieu précis. Pendant deux week-ends, nous déambulons dans des écrins architecturaux revivifiés grâce à l’inventivité d’artistes contemporains.
Retrouvez toutes les informations du Festival
www.teatroacorte.itEt les informations concernant les compagnies présentes le deuxième week end
Les Limbes / Etienne Saglio
www.ay-roop.com/compagnie/monstre(s)—etienne-saglio
Hakanaï / Cie Adrien M & Claire B
www.am-cb.net
Under Flat Sky / Billy Cowie
www.billycowie.com
A String Section / Reckless Sleepers
www.reckless-sleepers.euLa Partida / Vero Cendoya
www.verocendoya.wix.com
Parcours chorégraphié / Ambra Senatore
www.ccnnantes.fr
À Fleur de peau / Groupe F
www.groupef.com
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