Critiques // Critique • « Fairy Tale Heart » de Philip Ridley aux Déchargeurs

Critique • « Fairy Tale Heart » de Philip Ridley aux Déchargeurs

Jan 07, 2010 | Aucun commentaire sur Critique • « Fairy Tale Heart » de Philip Ridley aux Déchargeurs

Critique de Denis Sanglard

La magie du conte

Comment enchanter le monde quand pour tout horizon vous n’avez qu’une cité grisâtre de banlieue, la misère et un sentiment d’abandon, de désamour ? Dans un centre communautaire déserté, puisqu’il ne semble plus y avoir de communauté possible, Gidéon se réfugie. Un soir, il est rejoins par Kirsty. Que font là ces deux adolescents qui semblent fuir ? Une rencontre improbable où chacun va livrer peu à peu à l’autre ses propres secrets. Mais comme rien ne semble vouloir sortir alors que le chagrin est lourd, Gidéon  face à Kirsty, exprime une formule magique : « Fairy tale heart ». Ou comment une adolescente devient la princesse d’un royaume, Karamazoo, à la recherche d’un papillon de lumière…C’est  par le conte que Gidéon explique, transforme le monde et change ce centre communautaire déserté en un royaume de papier coloré dont il est le gardien et le sorcier. C’est par le conte qu’il libère la parole et fait tomber les masques. Et si nos deux personnages adolescents ne se marient pas et non pas d’enfants, pas encore, ce sont deux adultes raccommodés avec eux-mêmes qui sortiront de ce royaume en carton pour retrouver un monde désenchanté mais avec lequel ils se seront réconciliés.

Le rêve a ses limites

« Fairy tale Heart » est un texte singulier de Philip Ridley. Ni conte pour enfant auquel il emprunte la structure et l’univers, ni conte pour adulte auquel il s’adresse. Un entre deux, où deux adolescents jouent au « si magique » pour appréhender un monde, à leurs yeux hostile. Ce ne sont pas des rebelles pour autant, pas des victimes non plus.  On pourrait reprocher à l’auteur justement ce coté syndrome de Peter Pan face à une réalité autrement plus violente, à peine évoquée dans ce texte. Tout ça est un peu guimauve. Les contes ont pour vocation d’être initiatiques et sont en général bien plus cruels. Là, c’est politiquement correct. Plus proche de Disneyland que de Perrault. Loin, par exemple et pour la scène, de « L’enfant de l’étoile » d’Oscar Wilde où il y a quelques années de « Les enfants » d’Edward Bond ou plus récemment des aventures de « Bouli Miro » de Fabrice Melquiot autrement bien plus pernicieux.

Loué soit Nicolas Guilleminot de ne pas en avoir rajouté dans le sucré et d’avoir concentré sa mise en scène sur deux acteurs efficaces et une scénographie intelligente au vu de l’étroitesse du lieu. Une mise en scène simple qui laisse la place à la confrontation de ces deux personnages. Lou Wenzel et Tony Incandella n’en rajoutent pas dans  le coté « Il était une fois… ». Ils évoluent et oscillent sans heurts entre deux registres, de l’adolescent qui se laisse prendre au jeu de sa propre narration au personnage convoqué dans le récit magique s’inventant sous nos yeux. Aussi crédible en ado butée, fermée sur son chagrin, qu’en princesse de Karamazoo, aussi juste en sorcier de la grotte qu’en gamin squatteur, créateur d’un royaume de papier. La scénographie de Myriam Dogbe métamorphose, au fur et à mesure du récit, la scène en un livre pour enfant joliment coloré, ces pop-up ou livres en relief, qui se déploient dans des lumières de lanterne magique. On peut toutefois regretter un manque de rythme et de nuances, un coté parfois trop linéaire dans l’interprétation qui, de par la structure du récit et son contenu, mériterait un peu plus de relief et de mordant…Nicolas Guilleminot en respectant scrupuleusement l’univers de l’auteur en a malheureusement dévoilé ses faiblesses. Peut être aurait il fallu être moins respectueux… « Fairy tale Heart » nous ramène à la magie de l’enfance mais seuls les spectateurs qui ont gardé une âme d’enfant – sont ils nombreux ? On l’espère- s’y retrouveront. Les autres sont des vilains grincheux.

Fairy Tale Heart
De : Philip Ridley
Mise en scène : Nicolas Guilleminot
Assistante à la mise en scène : Laura Mirthil
Avec : Lou Wenzel et Tony Incandella
Scénographie : Myriam Dogbe
Costumes : Karine Serrano

Du 5 janvier au 13 février

Théâtre Les Déchargeurs
3 rue des déchargeurs, 75001 Paris
www.lesdechargeurs.fr

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