Critiques // « Extinction » de Thomas Bernhard au Théâtre de l’œuvre

« Extinction » de Thomas Bernhard au Théâtre de l’œuvre

Mai 23, 2015 | Commentaires fermés sur « Extinction » de Thomas Bernhard au Théâtre de l’œuvre

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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« Extinction » de Thomas Bernhard est un roman brûlant, violent, où l’auteur magistralement règle ses comptes avec l’Autriche. Écriture de la disparition où le narrateur, Franz Joseph Murau, disparaît avec son sujet, le domaine de Wolfsegg, qu’il se réapproprie à la mort de ses parents et de son frère violemment détestés, représentant d’un passé complaisant avec le nazisme, pour mieux le liquider. Wolfsegg c’est toute la détestation de Thomas Bernhard pour l’Autriche. Un pays qui suinte encore le « national-socialiste-catholique ». Le narrateur écrit la monstruosité familiale où le père bien après la guerre, en culotte de golf, répète encore « Heil Hitler ». Une famille qui cache les nazis dans leur villa, « la villa des enfants », souillant de cette tâche indélébile l’enfance de Murau, et fait affaire avec les américains. Une famille qui hait la culture et gifle l’enfant réfugié dans la bibliothèque. Cette introspection fouaille avec douleur et violence les entrailles d’une famille, d’un pays pour en extraire le cancer qui les ronge, cette destruction tyrannique de l’esprit. « Extinction » c’est aussi un vibrant plaidoyer, un émerveillement devant la beauté, devant l’art, qui offre une résilience, là, au centre de Rome où Murau s’est exilé. Se déposséder, offrir sans contrepartie le domaine de Wolfsegg à la communauté israélite de Vienne acte la réconciliation de Murnau avec lui-même et fait œuvre de réparation. Une délivrance. « Mon récit n’est rien d’autre qu’une extinction, car j’éteins effectivement tout dans ce récit, tout ce que je mettrai par écrit dans ce récit sera éteint, toute ma famille sera éteinte, son temps y sera éteint. »
C’est une lecture et c’est bien plus que cela. Serge Merlin s’empare du texte, et fait de ce roman un objet théâtral stupéfiant. De sa voix profonde, grave, il sculpte le texte, fait corps avec lui. Il se l’approprie, le dévore, l’incarne avec un sens du phrasé unique, une diction qui fait vibrer, vriller chaque phrase, chaque mot qui tombe avec un bruit mat et définitif, résonne longtemps, écho assourdi. Il est Murau, il est la souffrance de Murau, il est l’enfant Murau. Il est la haine de Wolfsegg, il est l’exécration de l’Autriche, il est la douceur et la beauté de Rome, de la Piazza Minerva… Il est le roman de Thomas Bernhard, il est Thomas Bernhard, la voix de Thomas Bernhard, son double. La voix tonne et gronde, violente dans la haine de Wolfsegg, écorchée, brisée à l’évocation de l’enfance meurtrie. Entre éclat ténébreux, rage froide, confidence sourde, murmure. Et puis l’apaisement, les larmes muettes. Serge Merlin est tout entier dans cette lecture. Et ce qu’il y a de merveilleux c’est que cette démonstration de son art, cet accomplissement, ne le sert pas. Serge Merlin s’efface tout entier derrière le roman, l’écriture, derrière Murau et Thomas Bernhard. Tout entier absorbé, au service de l’écriture et de son auteur, dans la dépossession humble et orgueilleuse de soi. Magistral !

Extinction de Thomas Bernhard
Lu par Serge Merlin
Réalisation Blandine Masson et Alain Françon
Avec l’aimable autorisation de Peter Fabjan

Théâtre de l’œuvre
55 rue de Clichy
75009 Paris
Du 20 mai au 24 juin 2015
Du mardi au vendredi à 19h
Samedi et dimanche à 15h
Relâche les lundis
Réservations 01 44 53 88 88 ou 0 892 68 36 22
theatredeloeuvre.fr

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