Critiques // « Eté », création de Carole Thibaut à l’Etoile du Nord

« Eté », création de Carole Thibaut à l’Etoile du Nord

Avr 03, 2010 | Aucun commentaire sur « Eté », création de Carole Thibaut à l’Etoile du Nord

Critique de Dashiell Donello

« Z’étaient chouettes les filles du bord de mer
Z’étaient chouettes pour qui savait y faire »

Adamo

La nouvelle création de Carole Thibaut Été est arrivée le 2 avril 2010, à l’Etoile du nord, comme un soleil nouveau, comme une bouffée d’air frais dans le paysage théâtral.

C’est l’histoire d’un jeune couple qui passe, comme chaque été, ses vacances dans un petit village de bord de mer. Ils viennent d’avoir un enfant et doivent apprendre à vivre à trois.

La première partie de la pièce prend sa source dans une petite cuisine dépersonnalisée par les locations successives des estivants. Elle est blanche, c’est à dire absolue dans les variations de brillance, mais aussi absente quand elle est ombrée par un astre caché. C’est propre, c’est net. C’est temporaire.

La femme est assise dans un clair-obscur. L’homme au fond de la pièce semble sonder, au lointain, le temps qui passe, cet « ennemi vigilant et funeste, l’obscur ennemi qui nous ronge le cœur », comme dit si bien Baudelaire. Ils échangent quelques mots : sur la plage, le soleil, l’enfant. Ils voudraient se dire des choses intimes, mais comment pour lui, maîtriser le temps et avancer dans son travail ? Comment pour elle, traduire ce trouble d’être mère ? Et comment faire les choses à trois ? Bébé pleure. Ils sont fatigués. Est-ce cela qui modifie leur relation ? La femme trouve son ami gentil, ce qui déclenche chez lui une forte colère. Perçoit-il le vide derrière les mots gentil et fatigue ?

La femme a arrêté de travailler pour s’occuper de sa fille.
– C’est provisoire, dit-elle.
Elle ne voyait pas comme ça son premier été à trois. C’est un bel été. Pourtant quelque chose ne tourne pas rond. Ils ne savent pas quoi, mais n’en parlent pas. C’est un temps d’indécision. De vacance… (s) dans tous les sens du terme.
Cette période de congés laisse émerger, derrière un bonheur apparent, leur confusion. Est-ce si difficile la simplicité ?

Un jour, l’homme prétexte un souci de travail et s’en retourne à la ville.
– Pour quelques jours, dit-il.
La deuxième partie de la pièce s’ouvre sur l’infini de la mer, suggéré par un film projeté sur un écran. La femme reste seule au bord de la mer avec son enfant. Elle fait la connaissance d’une autre femme, seule comme elle, au bord de la mer.

L’autre femme est une artiste. Une photographe qui ne parvient plus à photographier. Elle passe des heures à fixer l’horizon en silence.

La femme dit qu’elle ne comprend rien à l’art contemporain et n’arrête pas de parler. Elles vont réapprendre, l’une par l’autre, ces deux femmes, malgré tout ce qui les sépare, à regarder, à oser se regarder. Regarder le monde et l’enfant. Une fois n’est pas coutume, la mère va à la mer. Elle nage longtemps. Elle revient sur la plage transformée par ce bain bienfaisant. La photographe a eu peur qu’elle ne revienne pas. La femme a-t-elle vu, avec la photographe, ce que peut être la vie à trois ? A-t-elle vu leurs corps brunis par un soleil prodigue, flâner sur la digue ? A-t-elle vu ces petites cabines de plages, coloriées de pastel, alignées face à l’éternité de la mer azurée, se gondolant dans le mirage de la chaleur torride ? A-t-elle vu la simplicité de l’été ?

Un jour, l’homme revient dans la maison de vacances, à quelques jours de la fin de l’été. La femme a cru que lui aussi ne reviendrait pas.  Entre temps la photographe est partie. L’homme ne la connaîtra pas. La femme lui montre les photos prises par la photographe sur sa fille, sur elle-même, les gens ordinaires, les dunes mouillées…
L’homme lui demande qui gardait l’enfant ? La photographe, répond la femme. Ce n’est pas une inconnue dit-elle, je lui parlais tous les jours. Et si la femme connaissait mieux la photographe que son ami ? Qu’importe ! Peut-être qu’à l’horizon, une vague nouvelle vient apporter, pour notre jeune couple et la photographe, la renaissance au ressac de son écume ?

Semblable à la mer, et bien longtemps après que nous l’ayons quitté, la pièce de Carole Thibaut continue de briser ses vagues émotionnelles sur nos esprits. C’est un azur qui chante la vie et fleure bon l’iode d’une belle et simple histoire à la marée talentueuse.

Cette grande pièce que n’auraient pas reniés Nathalie Sarraute, ni Anton Tchekhov est remarquablement interprétée par Isabelle Andréani, La Femme. La discrète et juste Sophie Daull, L’Autre Femme, et le sobre Jacques Descorde, l’homme. L’auteure Carole Thibaut n’est en rien trahie par sa mise en scène qui va au bout de son objectif  à savoir : rendre perceptibles pour le spectateur ces choses ténues, indicibles. Confectionner, point après point, une dentelle très fragile qu’un rien peut déchirer.

Eté
Texte et mise en scène : Carole Thibaut
Assistante à la mise en scène : Fanny Zeller
Avec : Isabelle Andréani, Sophie Daull, Jacques Descorde
Scénographie : Carole Thibaut et Patricia Labache
Création lumières : Didier Brun
Création sonore : Pascal Bricard
Création vidéo : Carole Thibaud
Costumes : Magalie Pichard
Réalisation décor : Pierre Lenczner, Patricia Labache

Du 2 au 24 avril 2010

Théâtre l’Etoile du Nord
16 rue Georgette Agutte, 75018 Paris
www.etoiledunord-theatre.com

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