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Entretien avec Manuel Olinger, metteur en scène d’Un Tramway Nommé Désir de Tennessee Williams, au Collège de la Salle. Festival Avignon Off.

Juil 26, 2016 | Commentaires fermés sur Entretien avec Manuel Olinger, metteur en scène d’Un Tramway Nommé Désir de Tennessee Williams, au Collège de la Salle. Festival Avignon Off.

Entretien réalisé par Camille Hazard

 

UN-TRAMWAY-NOMME-DESIR_3378354612966080765C.H – Manuel Olinger, on vous retrouve cette année au Festival d’Avignon pour votre nouvelle et très réussie mise en scène d’Un Tramway Nommé Désir de Tennessee Williams; pouvez-vous tout d’abord nous dire quelques mots à propos de l’histoire ?

M.O – L’histoire d’Un Tramway Nommé Désir, c’est le déséquilibre qu’un couple va vivre avec l’arrivée de la belle sœur. Stella et Stanley Kowalski d’origine polonaise, voient leur quotidien paisible bousculé par l’arrivée de Blanche.

C.H – Pourquoi avez-vous choisi de mettre en scène ce texte de Tennessee Williams en particulier ?

M.O – Tout d’abord, son aura mythique m’intéressait. J’avais lu la pièce il y a longtemps mais je l’avais mise en côté en pensant qu’il serait trop difficile d’obtenir les droits d’auteur d’une part et surtout, l’incarnation du personnage de Stanley par Marlon Brando était un héritage très lourd à porter. Deux jours après, je suis tombé par hasard sur le film d’Elia Kazan et je vais vous dire… ça m’a mis en colère ! J’ai trouvé que le film restait à la surface des enjeux que porte la pièce et que le scénario était trop axé sur les rapports StanleyBlanche, alors que l’histoire est concentrée sur la relation de deux sœurs avant tout. Ce que j’ai revu du film m’a donné l’élan nécessaire pour porter ce projet et recadrer les enjeux humains que développe avec tant de talent Tennessee Williams ; notamment la notion de désir au delà du charnel. S’il y a des désirs ce sont avant tout ceux d’exister, d’aller au bout de leur choix de vie, et de trouver une identité. Le désir entre Stella et Stanley est probant, celui entre Blanche et Stanley est beaucoup plus complexe… Car Blanche voit avant tout cet homme comme un bourreau.

C.H – Dès le jour où l’envie de monter cette pièce est apparue jusqu’au jour de la première, comment s’est passé le processus de création ?

M.O – Le processus est long ! Il y a d’abord tout ce qui concerne l’administratif ; l’obtention des droits d’auteur d’une part, réaliser un solide montage financier. Nous nous sommes rassemblés pour des premières lectures en octobre 2015 avec les comédiens, pour présenter un work in progress et trouver un diffuseur. Ensuite, du mois de mars au moins de juin, nous avons été en résidence pour répéter.
C’est un énorme travail qui a été réalisé pendant plusieurs mois. J’ai tenu à travailler les personnages dans les moindres détails, fouiller ce qu’il y a de plus complexe chez l’être humain, en évitant de tomber dans la facilité et dans la caricature des personnages.

C.H – On sent une recherche très précise dans les décors, les lumières. Aviez-vous déjà une idée précise de la scénographie en entamant les répétitions ?

M.O – Puisque la pièce se déroule là-bas, toute la scénographie a été pensée pour immerger le spectateur dans l’atmosphère de la Nouvelle Orléans. C’était indispensable de projeter le public dans l’ambiance multiethnique et multiculturelle de cette région.
Comment représenter le Nouvelle Orléans ? Eh bien nous avons la chance de travailler avec Julie Delaurentis (la comédienne qui interprète Blanche), qui connaissant bien cette ville, a conservé des impressions et des souvenirs. J’ai adapté les lumières par rapport à ça, nous avons créé un décor qui rappelle les éléments essentiels de la ville à savoir de la ferronnerie, des balcons, un sol en damier noir et blanc, un réverbère spécifique « De Paris ». Des américains qui ont vécu là-bas et qui sont venus voir le spectacle, nous ont dit avoir été tout de suite immergés dans l’atmosphère chaude et électrisante de la Nouvelle Orléans, ça nous a fait très plaisir !

C.H – Le personnage de Blanche parle dans la pièce d’un « idéal d’une autre époque ». Que signifie cette idée de temps révolu pour elle et son auteur ?

M.O – Il y a plusieurs points de vue dans cette phrase. Un tramway Nommé Désir parle d’un monde en permutation; l’ancien monde bourgeois de propriétaires terriens doit peu à peu céder sa place à un nouveau monde moderne et libre, représenté dans la pièce par la Nouvelle Orléans avec son métissage de population, l’avènement du jazz et du blues. Cette confrontation d’époque passe également par les personnages ; le monde désuet de Blanche, rattaché aux souvenirs d’enfance, aux traditions, à sa propriété de «Belle Rêve » et celui de Stella toujours en mouvement, qui vit totalement ancrée dans le présent.
L’ « idéal d’une autre époque » est aussi lié à la propre identité de Blanche, à sa relation à l’autre, surtout lorsqu’il s’agit de relations amoureuses. Elle s’est noyée dans ce qu’il y avait de plus sale, de plus sombre, de plus vil dans son rapport avec les hommes et lorsque la pièce commence, elle tente de se sauver, d’atteindre à nouveau une purification et de retrouver une virginité perdue. Son idéal d’avant correspond à la tradition de la cour, puis du mariage, des enfants et enfin d’un monde fantasmé plein de fidélité, d’amour éternel et de respect !

C.H – Mitch, le copain de Stanley demande à Blanche, dans une scène où ils sont tous les deux, d’allumer la lumière pour qu’il puisse enfin voir son vrai visage. Les personnages de T.W gardent enfouis en eux des couches de ressentis, de non-dits, d’émotions, d’états d’âmes, bref toute une palette de comportements dont ils choisissent de se servir au grè des interlocuteurs et des moments. Comment l’auteur met en lumière toutes ses strates de personnalités et comment vous, metteur en scène, êtes-vous parvenu à les rendre vivantes sur le plateau ?

M.O – Ce qui est intéressant dans cette pièce, ce sont tous ces personnages qui ont une vraie vie intérieure avec des failles et des fractures. Chacun vit avec mais ne le transmet pas aux autres, on reste dans le territoire de l’intime. C’est pourquoi les scènes sont si vivantes et racontent toujours quelque chose ; on voit un vrai couple exister avec Stella et Stanley ; ils se disent des choses mutuellement qu’ils n’ont jamais exprimé à d’autres. Le personnage de Mitch que l’on cite, vit avec une faille psychologique profonde dont il ne parle jamais à son entourage amical, mais qu’il livrera aux côtés de Blanche elle-même chargée de fêlures. Un des intérêts de cette pièce est d’ouvrir des parenthèses dans la vie de ses personnages en espérant pour certains d’entre eux, une réelle absolution… Mitch et Blanche sont comme deux handicapés de la vie, qui vont s’en sortir ensemble mais Stanley, à l’inverse en cherchant à préserver son monde, refusera tout changement.
Metteur en scène, j’ai exprimé tout cela en me fiant au texte, en creusant, en essayant de comprendre chaque rapport entre les personnages. Dans les rapports amicaux, familiaux, amoureux, nous avons construit tout un imaginaire qui n’était pas écrit. Dans le rapport très important des deux sœurs, les comédiennes ont travaillé sur une époque où elles vivaient encore ensemble, afin de nourrir le présent de leur relation. Il y a deux couples identifiés au début de la pièce Blanche–Stella et Stella–Stanley puis, au cour du spectacle maintes relations vont se créer ; lutte de pouvoir et survie.

C.H – Vous avez choisi Francis Lalanne pour interpréter le rôle de Stanley, personnage rendu très populaire par Marlon Brando au cinéma. Comment avez-vous procédé dans le travail ? Vous êtes vous inspiré du film ou au contraire, avez-vous cherché d’autres pistes dès le début des répétitions ?

M.O – J’ai proposé le rôle à Francis Lalanne parce que je connais sa personnalité complexe qui pouvait tout à fait correspondre au personnage. Je n’ai pas du tout travaillé la pièce en pensant au film d’Elia Kazan ni à Brando, je me suis contenté de mettre en scène ce qui est écrit, comme je fais toujours ! Je fais confiance aux grands auteurs et comme le film s’éloigne de la pièce originale, avec parfois un côté caricatural dans le traitement des personnages, je m’en suis éloigné très rapidement. Francis Lalanne est tout à fait convainquant en Stanley Kowalski et à aucun moment la comparaison ne peut se faire avec Brando tant la pièce est éloignée du film, aucun va et vient n’est possible entre ces deux œuvres. Francis Lalanne est extrêmement généreux dans le travail a beaucoup inspiré les autres comédiens.

C.H – Actuellement, la pièce se joue au collège de la Salle à Avignon jusqu’au 30 juillet. Avez-vous d’autres dates à venir ?

M.O – Avignon est avant tout un marché pour vendre le spectacle. Il y aura en principe, une tournée organisée sur la saison 2017-2018 en province et à Paris. Et nous serons une nouvelle fois dans notre lieu de résidence à Carouge en Normandie.

 

Un Tramway Nommé Désir
De Tennessee Williams
Adaptation Pierre Lavigne
Mise en scène Manuel Olinger
Avec Francis Lalanne, Julie Delaurenti, Tiffany Hofstetter, Franck Douglas et Jean-Pierre Olinger.

Du 7 au 30 juillet 2016 à 16h00

Collège de la Salle
3 Place Louis Pasteur – 84000 Avignon
Réservation 04 90 32 03 26
www.avignonleoff.com

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