Critiques // « Ennemi Public » d’après Ibsen, mise en scène Thierry Roisin à la Comédie de Bethune

« Ennemi Public » d’après Ibsen, mise en scène Thierry Roisin à la Comédie de Bethune

Déc 02, 2010 | Aucun commentaire sur « Ennemi Public » d’après Ibsen, mise en scène Thierry Roisin à la Comédie de Bethune

Critique d’Audren Destin

« Un homme seul peut-il changer le monde ? » Cela parait peut probable. Quoiqu’il en soit de l’état du monde, si il y a bien quelque chose qui ne change pas, c’est la nature humaine et ses travers. Après la représentation, une femme d’un certain âge, entendons par là ‘avec une certaine expérience de la vie’, déclara au bar du théâtre : « et bien cette pièce m’a conforté dans l’idée que je me faisais de l’humanité ! » avec un air de dire « c’est pas brillant » !

Le docteur Stockman, médecin en chef d’une station thermale dans une ville d’eau en plein essor, découvre que l’eau des sources médicinales est très fortement polluée et donc nocive pour la santé. Il décide immédiatement d’en informer son frère Peter, maire de la ville, et de rendre l’affaire publique. Mais l’assainissement nécessaire obligerait à fermer le site pour une période relativement longue et induirait des coûts très importants. D’abord soutenu par la presse locale, Stockman se retrouve bien vite seul dans son combat pour la vérité, jusqu’au point d’être officiellement proclamé « ennemi public ».

© Julie le Guillanton et François Saint Rémy

La première question qui me vient à l’esprit lorsque j’assiste à une représentation, plus particulièrement lorsqu’il s’agit  d’un « classique », est celle des déterminations du metteur en scène à choisir ce texte plutôt qu’un autre. La question est d’autant plus intéressante lorsque le metteur en scène choisit de faire des changements importants dans le texte et de le réadapter à sa sauce.

Dans le cas de ce spectacle, les raisons qui ont pu pousser Thierry Roisin a choisir ce texte apparaissent clairement. Tout d’abord, la pièce d’Ibsen « Un ennemi du peuple », bien qu’elle traite d’un sujet relativement grave, est une comédie et en ces temps difficiles, le rire est un bien précieux. D’autant plus précieux lorsque, comme c’est le cas ici, il est associé à une critique sociale. Écrite en 1882, cette pièce est on ne peut plus d’actualité et pourrait avoir été écrite aujourd’hui. Elle met en scène un individu isolé qui doit faire face à la lâcheté et l’hystérie de ceux qui cèdent à la pression du pouvoir en place et de l’opinion. Ce brave médecin, d’abord porté par l’enthousiasme et l’illusion d’avoir une majorité compacte derrière lui se retrouve vite bien seul. D’un côté l’idéal de justice et de vérité, d’un autre côté la lâcheté humaine. Comme le souligne Thierry Roisin, l’actualité du sujet est évidente et fait écho à des situations que nous pouvons observer tous les jours, où l’intérêt à court terme domine face à la raison.

Mais si la pertinence du propos n’est pas à remettre en question, on peut néanmoins s’interroger sur le choix du metteur en scène relativement à certains aspects de son adaptation. Ici le choix a été fait de transposer cette pièce à notre époque. Là-dessus rien à redire, si ce n’est une inclination toute personnelle à préférer les atmosphères d’époque mais en l’occurrence cela n’engage que moi. Qui dit changement de temps dit changement de langage et sur ce point, une des propositions du metteur en scène de ponctuer tout au long de la pièce certaines répliques de « bordels » et de « merde », ne me semble pas particulièrement heureuse. On sent trop une volonté de rendre le texte contemporain et cela finalement manque de naturel. Mais ce n’est qu’un détail.

Au fond, je dirais que la faiblesse du spectacle résiderait plutôt dans le fait que l’aspect comique me paraît sous-exploité par rapport au potentiel qu’offre le texte, et du même coup la satire perd de son mordant. Il y a dans le jeu des comédiens un manque d’aisance et une certaine raideur qui nuisent à la fluidité de l’ensemble. Cependant il faut reconnaître la volonté exprimée par la mise en scène d’emmener le spectateur et de le faire participer au débat. Les comédiens s’adressent au public et restent toujours sur le plateau, tour à tour dans l’ombre et dans la lumière. Grâce à ce procédé, Thierry Roisin réussit le pari de maintenir le spectateur en haleine durant les 2h45 que dure la pièce (coupée par un entracte). Le décor est simple mais permet à l’action de se déployer de manière efficace, quelques rapides changements suffisent à nous faire passer d’une scène à une autre. Entre certaines scènes, les comédiens jouent d’une musique étrange, qui semble être un appel guerrier, une invitation au combat.

Si dans cette mise en scène, la tension entre la comédie et la critique féroce d’une société où la lâcheté et l’hypocrisie dominent n’est pas totalement maitrisée, le spectateur aura néanmoins l’occasion de découvrir un texte fort qui peut-être ne le réconciliera pas avec le genre humain mais qui dans le meilleur des cas sera pour lui l’occasion de reconsidérer le monde avec plus d’acuité.

Ennemi public
D’après : Henrik Ibsen, « Un Ennemi du peuple »
Mise en scène : Thierry Roisin
Avec : Xavier Brossard, Eric Caruso, Yannick Choirat, Noémie Develay-Ressiguier, Didier Dugast, Dominique Laidet, Florence Masure
Collaboration artistique : Olivia Burton
Traduction : Frédéric Révérend
Adaptation : Frédéric Révérend, Thierry Roisin, Olivia Burton
Scénographie : Laure Pichat
Lumières : Gérald Karlikow
Composition musicale : François Marillier
Costumes : Laurianne Scimemi assistée de Céline Thirard

Du 30 novembre au 20 décembre 2010
En tournée du 15 décembre au 26 mars 2010

La Comédie de Béthune – Centre Dramatique Nord / Pas-de-Calais
138 rue du 11 novembre, 62 412 Béthune cedex – Réservations 03 21 63 29 19
www.comediedebethune.org

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