Critiques // « Ébauche d’un portrait » d’après Jean-Luc Lagarce, mise en scène François Berreur

« Ébauche d’un portrait » d’après Jean-Luc Lagarce, mise en scène François Berreur

Avr 13, 2010 | Aucun commentaire sur « Ébauche d’un portrait » d’après Jean-Luc Lagarce, mise en scène François Berreur

Critique d’Evariste Lago

Memento Mori

Le journal de Jean-Luc Lagarce a été édité en 2007 par François Berreur aux éditions Les Solitaires Intempestifs, maison qu’ils fondèrent ensemble. Aujourd’hui, François Berreur est directeur littéraire de cette maison d’édition et également aux commandes de cette ébauche d’un portrait de Jean-Luc Lagarce, collage de ce journal. Les deux hommes se sont rencontrés au cours d’un stage de pratiques théâtrales à Besançon au début des années quatre-vingt. François Berreur devient le plus proche collaborateur artistique de J.-L Lagarce puis devient metteur en scène après avoir monté Voyage à la Haye.

© Jean Julien Kraemer

Ebauche d’un portrait est donc un collage de textes issus du Journal de Jean-Luc Lagarce, journal commencé le 9 mars 1977. Deux volumes pour un Journal : 1977/1990, 1990/1995. Journal intime ? Non. Il savait que son journal serait un jour publié et en a même confié la tâche à son ami Berreur dans son testament, d’où cet usage du « vous ». La tâche ici n’est pas de raconter Jean-Luc Lagarce mais bien de l’entendre se raconter lui-même. Le spectateur l’écoute se livrer et dévoiler ses « succès », ses déboires et espoirs professionnels et sentimentaux, ses histoires de « cul » et celles d’amour. Il se fait greffier des évènements de sa vie : lectures, films vus, rencontres, difficulté à écrire et à croire en soi, et ce fichu temps qui passe. Un an de plus, « et alors ? » Le feuilleton de sa vie s’accélère avec la découverte de sa maladie : sept années de doute, de lutte et de courage. Le feuilleton de sa vie s’achève avec le sida.

Cette ébauche d’un portrait sait nous rappeler le memento mori (souviens-toi que tu mourras).

« C’est cette absence de vérité, de justesse entre mon regard et celui des autres qui me laisse solitaire. »
J.-L Lagarce.

© Jean Julien Kraemer

Le metteur en scène François Berreur  a su trouver un acteur capable d’incarner avec justesse un personnage complexe, maniant humour, ironie et sensibilité. Un comédien en scène : Laurent Poitrenaux, pieds nus, costume noir et chemise blanche ouverte, assis derrière un bureau sur lequel sont posés une machine à écrire et des livres et au sol une malle et des disques ayant appartenu à J.-L Lagarce. Voilà pour le décor. Quelques musiques : Richard II 40 par Colette Magny, De temps en temps par Joséphine Baker et I love Paris par Ella Fitzgerald, les musiques préférées de Lagarce. Sur le mur, une vidéo fait défiler les notes de Lagarce, peu de mots mais beaucoup de morts, une sorte d’inventaire à la je me souviens de G. Perec. Cioran, Hervé Guibert, Coluche…Même seul dans sa chambre, Lagarce/Poitrenaux est en connexion avec le reste du monde, tout du moins, avec toute la salle. Laurent Poitrenaux, quarante ans, n’a pas connu Lagarce mais sait réinventer les notes de cet auteur avec une très grande justesse, sans tomber dans le pathos, même à l’approche du dénouement. Il sait également retenir l’attention du spectateur dans un échange empli de tendresse et de sincérité. La mise en scène nous invite chez Lagarce, mais cet univers pourrait bien se situer chez nous.

Lagarce classait les personnes selon trois catégories : « les morts, les vivants et les perdus ». Il se définissait comme un perdu et nous entraine avec lui : après ce spectacle on sort plus seul mais plus proche de lui. En recherche.

Ébauche d’un Portrait
D’après : Jean-Luc Lagarce, « Journal »
Collage, scénographie et mise en scène : François Berreur
Avec : Laurent Poitrenaux
Son et vidéo : David Bichindaritz
Lumières : Bernard Guyollot
Assistant à la mise en scène : Lélio Plotton

Du 12 au 17 avril 2010

Théâtre Ouvert
4 bis Cité Veron, 75 018 Paris
www.theatre-ouvert.net

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