Critiques // « Don Juan » de Tirso de Molina au Théâtre des Amandiers

« Don Juan » de Tirso de Molina au Théâtre des Amandiers

Mar 16, 2011 | Aucun commentaire sur « Don Juan » de Tirso de Molina au Théâtre des Amandiers

Critique de Dashiell Donello

« Don Juan » de Tirso de Molina (1583-1648) dans une mise en scène de Christian Schiaretti, au Théâtre Nanterre-Amandiers, nous laisse une impression mi-figue, mi-raisin

Siècle d’or

El siglo de oro correspond au siècle culturel Espagnol en Europe au XVIIe siècle avec les Cervantes, Vélasquez, Lope de Véga, Calderon, Le Greco, Vélaquez… C’est aussi paradoxalement le déclin politique et la fin de la dynastie Habsbourg en Espagne, sous le règne du jeune Roi Philippe IV.

Christian Schiaretti met en scène, en alternance, « La Célestine » et « Don Juan ». Il se fait guide d’un siècle d’or paré de la soie mythique du premier « Don Juan » au théâtre, édité en 1630 par Tirso de Molina. Ce dernier a posé la première pierre fondatrice d’un mythe devenu éternel sous sa plume : « El Burlador de Sevilla ».

© Christian Ganet

Dans Anthropologie structurale, Claude Lévi-Strauss écrit :
« Un mythe rapporte toujours des évènements passés : « avant la création du monde » ou « pendant les premiers âges », en tout cas « il y a longtemps ». Mais la valeur intrinsèque attribué au mythe provient de ce que ces évènements censés se dérouler à un moment du temps forment ainsi une structure permanente. Celle-ci se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur ».

La source, un fait divers ?

Pour exemple voici un fait divers, rapporté par la Chronique de Séville au XIVe siècle : Le fils de l’amiral Alonso Jofre Tenorio, Don Juan Tenorio aurait tué le commandeur dont il avait séduit la fille, et les moines du couvent où fut enterré le commandeur, outrés de cet acte, l’auraient assassiné et fait disparaître le corps, racontant ensuite qu’il avait été foudroyé par le Ciel et entraîné en enfer comme châtiment de ses fautes et de son refus de se repentir.

L’Abuseur de Séville

Don Diègue : Et Dieu est un terrible juge, quand vient la mort.
Don Juan : Quand vient la mort ? Votre échéance est si lointaine, j’ai vraiment tout ce temps pour voir venir ? D’ici là, la route est encore longue.

La pièce de Tirso de Molina raconte la spécificité du personnage qui s’oppose à la bienséance moralisatrice de son temps. Don Juan vit dans la loi du désir. Il est aimé, mais n’a pas la capacité d’aimer. Il a tout le temps pour voir venir. C’est un impie guidé par ses pulsions. Il s’oppose à père, roi, et Dieu.

© Christian Ganet

Nous sommes à Naples. Don Juan Tenorio, gentilhomme de Séville, au service de son oncle l’ambassadeur d’Espagne, obtient les faveurs de la duchesse Isabelle en se faisant passer pour son fiancé. « Qui suis-je ? Un homme sans nom » Répond-il à Isabelle en sautant d’un balcon du palais du vice-roi. Il fuit en Espagne. A la suite d’un naufrage, il s’échoue sur une plage de Tarragone. Thisbée, une jeune pêcheuse, le sauve de la noyade. Don Juan lui promet le mariage et lui ôte sa virginité. Il l’abandonne et va vers de nouvelles conquêtes. A Séville, il trompe encore de nombreuses femmes avant de se retrouver dans la chapelle où s’érige la statue du commandeur. Sur la sépulture on peut lire cet épitaphe : Ci-gît le plus loyal des gentilshommes, attendant du Seigneur qu’il le venge d’un traître.

Don Juan Indigné d’être considéré comme traître, invite ironiquement le feu commandeur à dîner. Le lendemain, c’est le convive de pierre qui vient frapper à sa porte pour l’inviter à souper dans la chapelle où il repose. Soucieux d’honorer la parole donnée, Don Juan se rend à l’invitation où l’attend un festin macabre au cours duquel la statue lui tend la main. Refusant son repentir qui arrive trop tard, elle entraîne Don Juan dans le feu des Enfers.

La mise en scène de Christian Schiaretti nous laisse une impression mi-figue, mi-raisin. On a l’impression de déjà vue. Le dispositif scénique bi-frontal de Renaud de Fontainieu est un long proscenium rectangulaire avec des portes en chaque extrémité qui représente différents lieux : Naples, Séville, le palais, les côtes espagnol, l’église, une arène de corrida etc. La convention du cérémonial, plaisant au début, s’essouffle peu à peu par les interminables allées et venues des personnages qui récitent une gestuelle guindée et hasardeuse pour le moins. Ce qui fait que la magie du théâtre devient un lourd et fastidieux déménagement d’accessoires et d’objets au lieu d’être apparition légère et allégorique comme la lumière de Julia Grand ou le son de Laurent Dureux. La troupe du TNP n’a pas non plus la même habilité que nous donne Julien Tiphaine qui campe un Don Juan baroque de corps et esprit, ni la maestria d’Alain Rimoux qui peint son personnage avec un talent plein de finesses et de variantes. Tout cela alterne entre des moments forts (au premier acte, puis dans l’église) et d’autres interminables (Les protocoles, les chansons, les scènes de fêtes) comme cette scène-couloir sans profondeur, ni horizon. La profondeur, dans tous les sens du terme, a fait défaut au profit d’une forme discutable. Et la structure permanente dont parle Claude Lévi-Strauss est de ce fait bancale et fragile.

Don Juan
De : Tirso de Molina
Texte français : Gérald Garutti, Pauline Noblecourt, Christian Schiaretti, Sacha Todorov
Mises en scène : Christian Schiaretti
Avec : Julien Tiphaine, Damien Gouy, Nicolas Gonzales, Jérôme Quintard, Julien Gauthier, Olivier Borle, Daniel Pouthier, Clément Morinière, Alain Rimoux, Philippe Dusigne, Béatrice Jeanningros, Laurence Besson, Yasmina Remil, Clémentine Verdier, Jeanne Brouaye, Benjamin Kerautret, Loïc Puissant, Raphaëlle Dio
Scénographie : Renaud de Fontainieu
Accessoires : Fanny Gamet
Costumes : Thibaut Welchlin
Lumières : Julia Grand
Son : Laurent Dureux
Perruques, maquillage : Claire Cohen
Directeur des combats : Didier Laval
Conseiller littéraire : Gérald Garutti
Chant : Emmanuel Robin

Du 12 mars au 6 avril 2011

Théâtre Nanterre-Amandiers
7 avenue Pablo-Picasso, 92 022 Nanterre
www.nanterre-amandiers.com

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