Critiques // « Dom Juan » de Molière, mise en scène René Loyon au Théâtre de l’Atalante

« Dom Juan » de Molière, mise en scène René Loyon au Théâtre de l’Atalante

Jan 13, 2011 | Aucun commentaire sur « Dom Juan » de Molière, mise en scène René Loyon au Théâtre de l’Atalante

Critique d’Audren Destin

Le « Dom Juan » de Molière mis en scène par René Loyon au Théâtre de l’Atalante est une petite merveille. Sans tambours ni trompettes, il nous livre en toute simplicité cette tragi-comédie réjouissante et servie par des acteurs impeccables.

« Quoi que puisse dire Aristote et toute la Philosophie, il n’est rien d’égal au tabac: c’est la passion des honnêtes gens; et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre. »

© Nathalie Hervieux

C’est ainsi que s’ouvre la pièce. Discussion enfumée, à la lumière d’une bougie, entre Sganarelle et le valet de la malheureuse Elvire, qui vient d’être trahie par son mari, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, Dom Juan. Abandonnant sa femme (une de plus), il continue son chemin à la conquête de toutes les autres, sourd à toutes les remontrances chrétiennes, reniant son père, narguant les créanciers et défiant même la mort en personne. Dom Juan n’est certes pas un tendre, et au-delà de son cynisme et de son arrogance, il y a en lui une véritable folie qui le conduira à sa perte. « Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs ; je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. »

Un Théâtre de Chambre

Mettre en scène Dom Juan dans le petit théâtre de l’Atalante est un choix qui s’inscrit dans l’axe de travail que poursuivent depuis plusieurs années Alain Barsacq, Agathe Alexis, et la compagnie de René Loyon, à savoir celui d’un Théâtre de Chambre. Ainsi ils permettent à de grandes œuvres du répertoire d’être jouées dans un rapport de proximité avec le public. Leur volonté est de se débarrasser de la convention déclamatoire et de solliciter l’attention du spectateur de manière neuve, dans l’intimité, la confidence, redonnant ainsi un nouvel éclat aux textes classiques. Un pari particulièrement intéressant dans le cas de Dom Juan, pièce dans laquelle l’action ne cesse d’évoluer dans des décors différents: palais, bord de mer, forêt, appartement, etc. René Loyon a résolu la question très simplement en construisant un décor unique avec quelques vieux meubles. D’un côté, un petit salon, de l’autre, une chambre. Dans ce huis clos, l’action se déroule et les personnages défilent. « Le décor devrait être comme ces tapis orientaux aux arabesques entrelacés qui permettent à l’imagination des enfants de se donner libre cours, faisant surgir château, forêt, plage, précipice… ».

© Laurencine Lot

En tant que spectateur, je peux confirmer l’efficacité de ces procédés ; les acteurs nous emmènent avec eux, nous faisant partager leurs cheminements, leurs questionnements, et quelque chose de sublime se passe, la magie du théâtre opère. Tout d’abord les comédiens sont remarquables de justesse, de finesse, et de drôlerie. Yedwart Ingey dans le rôle de Sganarelle et Clémént Bresson dans celui de Dom Juan se complètent à merveille, l’humanisme de l’un venant adoucir l’arrogance et le cynisme de l’autre, et c’est un véritable plaisir de les suivre dans leurs péripéties. Tous les autres rôles sont joués par quatre comédiens excellents qui endossent chacun plusieurs personnages : Claire Barrabes, Jacques Brucher, Adrien Popineau et Claire Puygrenier. Procédé qui vient renforcer le sentiment de proximité, de familiarité et de sympathie que l’on peut éprouver vis à vis des acteurs. Que ce soit dans l’exercice difficile de jouer avec l’accent paysan ou celui d’interpréter un spectre, tous remplissent leur rôles avec aisance et brio. Le décor est simple, sans fioritures, les costumes mêlent des habits contemporains et plus classiques, ne plaçant ainsi le récit dans aucune époque particulière mais en évoquant néanmoins l’origine « classique » du texte. René Loyon souhaitait ainsi composer des silhouettes volontairement  imprécises, des personnages énigmatiques comme échappés d’un rêve ou d’un film ancien en noir et blanc. La lumière douce et tamisée invite à la rêverie, la musique également présente, par petites touches, vient ponctuer le récit tout en douceur ; pas une minute le spectateur n’est laissé sur le bord de la route.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, l’apparente simplicité de cette mise en scène témoigne d’une véritable compréhension de la nature profonde de l’œuvre et du travail de l’acteur. Il faut beaucoup de talent, d’intelligence et de sensibilité pour arriver à une telle rigueur et une telle pureté. Cette pièce est donc une formidable occasion de redécouvrir Molière autrement, dans un cadre intimiste et chaleureux.

Dom Juan
De : Molière
Mise en scène : René Loyon
Avec : Claire Barrabes, Clément Bresson, Jacques Brucher, Yedwart Ingey, Adrien Popineau, Claire Puygrenier
Dramaturgie : Laurence Campet
Scénographie : Nicolas Sire
Lumières : Laurent Castaingt
Création sonore : Françoise Marchesseau
Costumes : Nathalie Martella
Direction technique : François Sinapi

Du 10 janvier au 13 février 2011

Théâtre de l’Atalante
10 place Charles Dullin, 75018 Paris – Réservations 01 46 06 11 90
www.theatre-latalante.com

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