Critiques // « Dis-leur que la vérité est belle » de Jacques Hadjaje au Lucernaire

« Dis-leur que la vérité est belle » de Jacques Hadjaje au Lucernaire

Mai 20, 2010 | 2 commentaires sur « Dis-leur que la vérité est belle » de Jacques Hadjaje au Lucernaire

Critique de Dashiell Donello

Les Chouraqui entre la petite et grande Histoire.

1955. La famille Chouraqui fêtent à Alger la circoncision d’Albert (Guillaume Lebon)  dans le tourbillon effervescent d’une famille heureuse. Des scènes de la vie ordinaire se succèdent au rythme de Charlie Parker et dans la saveur miellé des makrouds. La scénographie, façon théâtre grec, fait danser les voiles des souvenirs d’Albert dans un demi-cercle ponctué d’une estrade thymélè qui tour à tour est pierre tombale, radeau du doute, et appartement ou père et fille vont enfin se connaître.

Dans l’orchestra les truculents personnages badinent, flirtent, parlent de mariage et de football devant la skènè qui cache la tragédie qui ne dit pas son nom.

« On savait qu’il se passait des choses, des gens mouraient, mais nous avons mis très longtemps à réaliser, à donner son nom à la guerre d’Alger » dit Jacques Hadjaje auteur et metteur en scène de la pièce qui évoque, de l’enfance à l’âge adulte, l’histoire violente d’Alger la blanche et de ses habitants. Albert, notre guide au fil du récit, vit et voit sa vie par  flash-back, à tous les âges. Il est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’histoire. Son amie Leila (Anne Didon) vient égayer ses journées d’enfance, mais on lui interdira plus tard de revenir le voir. Gaston (Sébastien Desjours) écoute sur son phonographe un enregistrement pirate de jazz. Aimée (Isabelle Brochard) apprend à sa fille à faire les makrouds. L’institutrice fait rejouer les « Dix Commandements » qui font un tabac à Alger. Olga (Delphine Lequenne) se marie avec Désiré, qui tient une boucherie rue Babazoun. Brigitte (Anne Dolan) s’inscrit au Eclaireurs Israélites parce que son amoureux y est entré ; mais aussi le cousin Georges a bizarrement disparu. Et Spirit (Laurent Morteau) héros de bande dessinée est impuissant.

Ce texte touchant nous conte, par bribes subjectives, la tragédie du rapatriement de manière subtil et mesuré. Il se dessine au sein de la cellule familiale sur le carnet du souvenir d’Albert. Une fresque peint avec le cœur. Sur le chemin d’exil. Trois générations de gens simples nous parlent. Nous font rire, nous font pleurer. Car c’est aussi de l’universalité de la famille et de la transmission dont il est question dans cette pièce sans accents,  ni clichés, ni caricatures.

La troupe est chorale est c’est là sa force, chacun a son grain de voix et d’esprit pour servir cette humanité sans jamais mettre en avant une sensiblerie qui ne servirait pas l’oeuvre. Ce témoignage plein d’intelligence est aussi drôle que nostalgique, et sans affectation prétentieuse. 1962, représentait neuf cent mille Français, Européens et Juifs rapatriés, la désespérance des aïeux, le chaos familial qui, coupé dans le bouillon d’un cauchemar maritime, dépérissait à mesure que leur Algérie originelle disparaissait dans l’embrun d’une nostalgie méditerranéenne qui n’allait jamais les quitter. Pendant que de l’autre côté de cette mer le slogan : La valise ou le cercueil, éructaient des gueules nationalistes de cette époque.  1962 était l’année de cet exode tragique.

« L’histoire d’Albert, c’est un peu la mienne. J’ai écrit ce texte pour des acteurs avec lesquels j’ai développé une vraie complicité de travail. Après Adèle a ses raisons, c’est le deuxième spectacle que nous réalisons ensemble. Nous formons aujourd’hui une troupe, une petite famille de théâtre. Ces deux spectacles racontent l’histoire de familles ordinaires en prise avec la Grande Histoire. Ils sont aussi le fruit du travail d’une équipe passionnée par la recherche. Nous voulons rendre compte d’aventures humaines » nous dit Jacques Hadjaje.

« Dis-leur que la vérité est belle » est à voir absolument pour cette humanité qui émane de cette troupe talentueuse.

Dis-leur que la vérité est belle
Ecriture et mise en scène : Jacques Hadjaje
Avec : Isabelle Brochard, Sébastien Desjours, Anne Didon, Anne Dolan, Guillaume Lebon, Delphine Lequenne, Laurent Morteau
Musique et arrangements : Jean-Baptiste Sabiani
Musiciens : Mathias Allemane (contrebasse), Barlloyd (piano), Fabrice Moreau (batterie), Pierric Pedron (saxo)
Scénographie : Patricia Lacoulonche
Costumes : Delphine Lebon
Lumières : James Angot
Construction du décor : Martin Saint-Rémy
Affiche : Philippe Banières

Du 19 mai au 3 juillet 2010
Reprise du 1 avril au 30 juillet 2011

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75 006 Paris
www.lucernaire.fr

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