Critiques // « Dieu, qu’ils étaient lourds… ! » de Céline au Lucernaire

« Dieu, qu’ils étaient lourds… ! » de Céline au Lucernaire

Mai 06, 2011 | Aucun commentaire sur « Dieu, qu’ils étaient lourds… ! » de Céline au Lucernaire

Critique de Hugue Bernard

C’est à une rencontre avec Céline que nous convie Ludovic Longelin. Pas avec le mythe, source intarissable de fantasmes et de disputes sur l’air du « faut-il aimer l’ouvrier pour aimer l’œuvre ? », mais avec l’homme et l’écrivain. Moins avec ses « idées », qui du reste sont dégueulasses comme le sont pour lui toutes les idées – sur ce point au moins, la critique est unanime – mais avec ses émotions.

Que l’on aime Céline – ce qui fait bien, que l’on n’aime pas – ce qui fait bien, ou que l’on s’en fiche – ce qui revient au même, on a de fortes chances d’aimer Dieu qu’ils étaient lourds. Parce qu’avant tout, on y fait une rencontre extraordinaire, celle d’un type charismatique, étrange, à la personnalité aussi forte que dérangeante. Et l’on y croit.

© Pierric Maelstaff

Il n’y a pourtant pas beaucoup d’artifices dans ce spectacle. Un court enregistrement de la voix de Céline, une petite ritournelle provocante, un journaliste dans un coin posant péniblement quelques questions médiocres, qui appellent des reparties d’un cynisme calculé : « je suis un génocide platonique ». Sur le plateau, une chaise est plongée dans l’ombre, flanquée de deux micros, comme pour capter une voix faible, nasillarde, un peu chevrotante, qui ne cherche pas à plaire et s’anime dans le jeu des questions-réponses.

L’obscurité se dissipe sur un visage. Celui de Marc-Henri Lamande. Ou de Céline. Vraiment, on ne sait plus très bien qui est qui tant est profonde la sensation d’incarnation. Sans être spécialiste de l’écrivain, on ne peut guère juger de la fidélité de l’imitation, mais on la reçoit ô combien vraisemblable ! Le corps bouge à peine, comme engoncé dans un fauteuil qui n’est pourtant qu’une chaise, recroquevillé, comme celui d’un homme qui a souffert. Des peines, il en a eu son lot, Céline, il ne cesse de le rappeler. Des joies ? Bien peu. Il geint comme Bardamu, le héros du Voyage au bout de la nuit. Mais ce n’est pas ce que l’on retient. De sa vie, de son enfance sans chaleur, de ses prises de partis politiques (« une bêtise, j’aurais mieux fait de me taire ») aussi misérables que sulfureux, on saura peu et l’on s’en passe. Là où il nous prend, nous surprend, c’est évidemment quand il parle de littérature. C’est-à-dire, pour lui, de “style”, de “technique”, c’est tout. Le reste n’est rien. Le style, façon Céline, c’est l’expression de l’émotion, fors de quoi il n’y a que du vide. Au commencement n’était pas le verbe, mais l’émotion. Puis vint la parole, nécessairement contrainte. Écrire, c’est revenir à l’expression initiale d’avant la parole forcée, d’avant les canons, d’avant les règles académiques. D’avant toutes les conneries que l’être humain, dans sa bêtise et sa lourdeur, a générées. Le travail, la technique, consistent à se débarrasser des conventions pour retrouver l’émotion. « Dégonder les phrases » pour trouver ce qui se cache derrière. Lamande-Céline parle de l’écriture et on oublie le personnage interlope, effacé, écrasé par la personnalité de l’artiste. Les doigts du géant crèvent l’enveloppe du nain geignard. La métamorphose est prodigieuse du comédien à l’homme et de l’homme au monstre. Sacré, s’il se doit, puisque qu’il faut bien être « mystique ».

A ce stade, peu importe que l’on aime ou pas Céline, que l’on connaisse ou pas. Ce que propose Longelin et que permet la stupéfiante incarnation de Lamande, au-delà de tout jugement d’ordre moral ou esthétique, c’est la confrontation intime avec un artiste hors du commun.

C’est le moins que l’on puisse dire. Céline ne sort pas blanchi, ni flatté, du Lucernaire. Il y entre à vif : « Si tu ne mets pas ta peau sur la table, tu n’as rien ». Et puis il se tait. Il en a assez dit, jugera qui veut. Qui peut.

Dieu, qu’ils étaient lourds… !
Rencontre théâtrale et littéraire avec Louis-Ferdinand Céline
Conception, adaptation et mise en scène : Ludovic Longelin
Avec : Marc-Henri Lamande (Céline) et Ludovic Longelin ou Régis Bourgade (le Journaliste).
Voix off : Véronique Rivière

Du 4 mai au 23 juillet 2011

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champ, 75 006 Paris
www.lucernaire.fr

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.