Critique de Audren Destin –

« C’est une pièce qui ne manque pas de qualités. Elle manque simplement d’intérêt ». Dans la navette pour rentrer à Paris, c’est ainsi qu’une femme concluait une conversation d’un quart d’heure avec son amie sur la pièce à laquelle elles venaient d’assister. J’avoue être moi-même dans l’embarras pour écrire sur ce spectacle.

L’idée de départ est ambitieuse et originale, elle consiste à ouvrir de nouvelles perspectives au théâtre de Shakespeare en s’intéressant particulièrement au personnage de Desdémone. Dans l’acte premier d’Othello, ce dernier raconte devant le sénat vénitien comment Desdémone et lui se sont épris l’un de l’autre alors qu’il lui contait ses récits, des récits de sa jeunesse d’enfant-soldat, de souffrance, de privation, de salut, de métamorphose et de générosité humaine. Des récits « d’autres mondes ». Toni Morrison, encouragé par Petter Sellars, a voulu écrire ces récits.

© Pascal Victor | ArtComArt

Dans l’acte IV, Desdémone chante sa « chanson du saule ». Elle confie à Emilia que ce chant lui a été appris par sa nourrice, Barbarie, qui est morte en la chantant, le cœur brisé. Dans l’Angleterre de Shakespeare, Barbarie signifiait « Afrique ». Desdémone a été élevée par une Africaine, au milieu de récits et de chants africains. Dans cette nouvelle approche, la relation entre Desdémone et Barbarie est développée, des questions sont soulevées, des réponses sont apportées.

C’est avant tout la confrontation entre deux mondes bien différents, celui de Shakespeare et le nôtre. Aujourd’hui la parole de la femme s’est libérée, l’esclavage a été aboli, et l’Afrique est bien plus présente dans le monde qu’elle ne l’était alors. C’est également un voyage entre le monde des vivants et celui des morts, qui dans la tradition africaine ne sont pas tout à fait morts, et sont très présents.

© Pascal Victor | ArtComArt

Sur scène les acteurs et les musiciens sont superbes. L’actrice Tina Benko est remarquable, elle tient le texte presque à elle seule (en dehors des passages musicaux) pendant près de deux heures, avec beaucoup de justesse et d’intensité. Mais malgré son admirable prestation il faut fournir un véritable effort de concentration pour ne pas perdre le fil et ne pas s’assoupir. Bien sûr le fait de devoir lire les surtitres n’aide pas mais tout de même, il y a quelque chose de monotone dans ce texte, dans cette quête de sens, dans cette tentative de réconciliation, dans cette plongée dans l’âme humaine qui n’est au fond qu’un long monologue (bien que Tina Benko incarne plusieurs personnages).
Le personnage de Barbary est interprété par Rokia Traoré qui est absolument sublime. En plus d’être l’une des plus belles voix africaine de notre époque, elle possède également un véritable magnétisme, une présence qui illumine le plateau. Elle est accompagnée de deux musiciens et trois ravissantes choristes. Leur musique est magnifique et l’acoustique excellente. Elles portent toutes de belles robes blanches et il y a sur le plateau une recherche esthétique sur le verre et la transparence, sur la pureté. De ce point de vue-là, ce spectacle est une réussite. Le bonheur d’entendre Rokia Traoré chanter dans de si bonnes conditions justifie d’ailleurs amplement le déplacement.

Desdemona
De : Toni Morrison
Mise en scène : Peter Sellars
Musique : Rokia Traoré
Création lumières : James F.Ingalls
Sonorisation : Alexis Giraud
Avec : Tina Benko, Rokia Traoré
Chœur : Bintou Soumbounou, Fatim Kouyaté, Kadiatou Sangaré
Musiciens : Mamah Diabaté, Mamadyba Camara

Du 13 au 21 octobre 2011

Théâtre Nanterre–Amandiers
7 avenue Pablo Picasso, 92 022 Nanterre
RER A Nanterre-Préfecture – Réservations 01 46 14 70 00
www.nanterre-amandiers.com

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