Critique de Denis Sanglard –
Le Théâtre de La Cité Internationale présente jusqu’au 16 Avril un panorama de la magie contemporaine. Oubliez lapins, colombes, baguettes et formules magiques. S’il y a toujours des trucs ceux-ci sont désormais au service d’une nouvelle pensée, d’un nouveau regard sur le monde. Performers et critiques de leur art les magiciens invités renouvellent le genre. Plus qu’une simple technique de l’illusion les enjeux sont désormais ailleurs. C’est une nouvelle esthétique qui est proposée au service d’une pensée critique. La magie peut enchanter le monde mais elle peut aussi interroger ses codes dont l’illusion n’est pas le moindre des dangers. Des-Illusions fort à propos débarrasse la magie de ses paillettes. Au programme donc, discours sur l’art au Féminin pour Anne Juren et Annie Dorsen dans « Magical », réflexion sur ce qu’est être humain dans « L’Autre » de Claudio Stellato et réflexion sur le pouvoir dans « Influences » de Thierry Collet.
© Nathaniel Baruch - Le Phalène
Et Thierry Collet est un homme dangereux. D’emblée il définit le spectateur comme sujet d’expérience, le tutoie et le rudoie. Ce qui intéresse ce mentaliste est la psychologie sociale, sa modélisation. Nous ne somme pour lui rien de moins qu’un panel, un sujet d’expérience qu’il peut manipuler dans ses choix et ses décisions. Cela commence par quelques astuces plutôt drôles, histoire sans doute de nous mettre en confiance, mais très vite ce qui est réalisé au fur et à mesure, au-delà du tour lui-même, prend très vite une tournure plus acide. Nous sommes soufflés par sa démonstration qui va crescendo. Mais la subtilité ne réside pas dans le truc car tout est truqué, nous le savons, mais dans son acceptation qui nous rend ainsi de fait complice. En acceptant de ne pas savoir, d’ignorer et de croire c’est donner justement tout pouvoir à celui qui affirme savoir. C’est sans doute la manipulation la plus retorse et la plus inquiétante de ce spectacle qui avance ainsi de mise en abîme en mise en abîme. Si on élargi cela au champ politique large, cela fait frémir sur le mécanisme même de la manipulation… Et d’une actualité violente.
Un malaise point où la perception de notre réalité devient soudain ténue. De même lors d’une démonstration brillante et drôle sur notre perception d’une image (une croix derrière un arbre, enlevez l’arbre, que voyez vous ?) en voix off nous entendons un commentaire sur le procès d’Outreau. Procès emblématique justement sur la perception d’un événement et de sa vérité. Un mot définit sans doute cette conférence singulière. Quand surgit d’un dictionnaire manipulé et rebelle le mot troublant. La définition, « qui altère ou qui affecte (la vie organique, psychique) », est lue à voix haute. Point de hasard. C’est bien ce trouble là que Thierry Collet nous fait la démonstration. Lui-même parle de « prise de pouvoir du magicien sur l’auditoire ». En déplaçant le champ traditionnel de la magie vers le mental, il brouille la perception du fait magique et le recentre dans son contexte initial, celui justement de la manipulation des masses. C’est sans doute moins spectaculaire mais c’est justement cette absence d’apparat traditionnel qui rend son numéro troublant… Certes nous sommes au théâtre mais Thierry Collet ne cesse de mettre en perspective cette illusion de réalité avec la réalité. Même le décor y participe avec ces isoloirs qui ramènent de facto le spectateur au citoyen, le théâtre au politique. Il n’y aurait donc aucun libre arbitre ?
La conclusion de cette création est remarquable qui cite le chapitre du grand inquisiteur des Frères Karamazov de Dostoïevski. « Influences » est bien plus qu’un spectacle de magie mentale. Thierry Collet fait montre d’un engagement en retournant la magie contre elle-même. Ou du moins en dénonçant sa face obscure et primitive. Loin d’enchanter le monde, l’illusion masque une réalité plus inquiétante que merveilleuse.
Influences
Spectacle théâtral de magie mentale à partir de 15 ans
Conception et interprétation : Thierry Collet
Collaboration à la dramaturgie et à la mise en scène : Michel Cerda
Lumière : Paul Beaureilles
Son : Manuel Coursin
Scénographie : Elise CapddenatDu 5 au 16 avril 2011
Dans le cadre du festival Des-IllusionsThéâtre de la Cité Internationale
17 bd Jourdan, 75 014 Paris – Réservations 01 45 80 91 90
www.theatredelacite.com