Critique de Djalila Dechache –
Un nouveau concept arrive à Paris : ni du théâtre façon boulevard du Crime du XIXème siècle, ni un jeu en public, ni farce collective, c’est un peu tout cela recomposé au ton d’aujourd’hui. Le concept qui a fait ses preuves, fonctionne depuis plus de trente ans aux Etats-Unis et fait les soirées mémorablement drôlatiques de nos voisins outre-atlantique.
Cela commence très fort sur la scène du Théâtre des Mathurins transformé en un salon de coiffure branché, musique tonitruante, lumière blanche et forte, mobilier “girly” avec du rose partout.
Ça balance, ça swingue, c’est dans le “mouv’” avec une ambiance très “fun”, les personnages préparent leur journée qui hésitent entre une joyeuse chorégraphie et un défilé de mode, menée par une Betty boop attachante et un garçon coiffeur très espiègle, gominé portant tee-shirt plus shorty jaunes.
Avec les lumières qui restent allumées un bon moment coté spectateurs, on ne se rend pas vraiment compte que la pièce commence. Les comédiens dont l’un avec un air à la Jouvet, rentrent en scène tranquillement, sans effet, jouant les clients arrivant au gré de la matinée.
A la fin de l’acte I, un crime a été commis et l’ensemble des protagonistes est devenu suspect, chacun ayant une bonne raison de passer à l’acte afin de supprimer cette horrible Isabelle de l’étage du dessus, dite La momie qui avait un gros problème de voisinage et menaçait d‘expulser ces braves jeunes gens du salon de coiffure !
Pour éclaircir cette enquête, il va bien falloir passer chaque seconde au peigne fin – c’est le cas de le dire – pour découvrir l’assassin et c’est à ce moment là que le public se transforme en un groupe de témoins. Lors de la reconstitution, dès qu’un des trois comédien/suspect ne dit pas la vérité ou dit une autre vérité au capitaine de Police pugnace et zélé, pendant son interrogatoire « implacable », le public conteste et donne la version des faits pour que la Vérité éclate au grand jour.
Voilà pour l’intrigue.
Vous comprendrez qu’il n’est pas possible d’en dire davantage afin de préserver l’intégralité du dénouement et du ressort « dramatique » si vous décidez d’aller à votre tour voir ce spectacle.
Et comme chaque représentation est unique, cela on le sait pour le spectacle vivant mais à fortiori dans cette pièce participative, évolutive laissant une belle place à l’improvisation quotidiennement, où le criminel n’est pas toujours qui l’on croit ni le même chaque soir ! La traduction est bien construite en trouvant des équivalences dans la culture française, c’est bourré de références au quotidien ou plus élaborées, ça déménage, ça décoiffe dans un rythme effréné de rires, de situations cocasses, de poses et de moues ravageuses, de répliques parfois improvisées même si l’ensemble est très écrit , très prévu.
C’est plein de trouvailles y compris durant le petit entracte où les comédiens, une bonne équipe composée d’un casting de choix, restés sur scène continuent à converser avec nous, comme avec des amis, c’est très bien fait.
Même si l’histoire est mince malgré des points ressemblances avec la mécanique d’un feuilleton policier, on ne s’ennuie pas une seconde, on se surprend à rire de bon coeur d’une saine rigolade à ce spectacle à l’humour bon enfant qui ne laisse personne du public indifférent.
Ajoutons que le texte de la pièce signé du psychologue allemand Paul Pörtner, intéressé par Antonin Artaud, Piscator et Alfred Jarry, fait étrangement penser au célèbre livre « Les enfants de Sanchez » édité en 1961 de l’anthropologue américain Oscar Lewis (1914-1970) qui, à travers chaque récit des trois personnages, « nous fait retrouver la verve propre à chacun d‘entre eux, et la même transmission imaginative d’une réalité où une subjectivité passionnée tient la première place. Ces récits révèlent également la différenciation des processus du souvenir chez chacun des personnages ».
Les américains Marilyn Abrams et Bruce Jordan décident d’en faire un spectacle tout public dont le succès ne se dément pas depuis 1978.
Il n’est pas difficile de parier que l’adaptation signée de Sébastien Azzopardi et Sacha Danino dans une mise en scène de Sébastien Azzopardi auront le même succès en France.
Et c’est tant mieux dans cette période de grande morosité.
Dernier coup de ciseaux
D’après : Paul Pörtner
Conception : Marilyn Abrams et Bruce Jordan
Adaptation : Sébastien Azzopardi et Sacha Danino
Mise en scène : Sébastien Azzopardi
Avec : Domitille Bioret, Romain Canard, Réjane Lefoul, Yann Mercoeur, Bruno Sanches et Olivier Solivérès
Assistante à la mise en scène : Emmanuelle Tachoires
Décor : Juliette Azzopardi
Lumières : Mamet Maaratie
Costumes : Pauline Gallot
Son : Julien DauplaisDu 7 juin au 17 décembre 2011
Prolongations jusqu’au 28 avril 2012
Du mardi au vendredi à 21h, le samedi à 16h30 et 21hThéâtre des Mathurins
36 rue des Mathurins, 75 008 Paris – Réservations 01 42 65 90 00
www.theatredesmathurins.com