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Dépaysement de Ascanio Celestini, au Théâtre du Rond-Point

Mar 01, 2017 | Commentaires fermés sur Dépaysement de Ascanio Celestini, au Théâtre du Rond-Point

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© Hubert Amiel

Une petite merveille et un beau moment, bouleversant pour tout dire, de théâtre. Ascanio Celestini, digne héritier de Franca Rame et Dario Fo, est un comédien-conteur hors-pair, un auteur profondément engagé dans un théâtre volontairement politique, dans la lignée des activiste italiens. (On songe à Pasolini, à Pippo Delbono). Une écriture musicale, nerveuse, serrée, rehaussée par un débit vocal de mitraillette. Ascanio Celestini, tel un arlequin moderne, possède un sens du récit formidable, servi par un jeu mobile, nerveux, bondissant. Il partage ici la scène, trouvaille magnifique, avec son traducteur, son alter ego, son double tout aussi volubile et mobile que lui, tout aussi talentueux, Patrick Bebi également comédien. Un vrai et épatant, étonnant numéro de duettiste. Et Violette Pallaron, comédienne belge, sensible , d’une formidable et belle présence, contre-point délicat à Ascanio Celestini mais avec la même vigueur dans la narration. Ils sont accompagné par un musicien, Gianluca Casadei, discret mais qui apporte un ton, une atmosphère qui ajoute à la poésie de ce moment de théâtre rare et profond. Voilà, c’est l’histoire toute bête d’une caissière, Violette, reine en sa caisse au supermarché, un supermarché devenu le centre d’un monde, qui porte au fond de sa poche son père, un homme humble mais qui savait tout faire au dire de sa femme. L’histoire de Dominique, vieille sdf, cabossée dès l’enfance, par la vie et qui pour quelques euros poussent là les caddies égarés sur le parking. Celle de Saïd, sans papier, exploité au noir à charger et décharger des caisses, amoureux de Dominique et joueur invétéré et malchanceux le samedi mais qui un jour, comme nombre de sans-papier, disparait, expulsé.  L’histoire encore de la patronne de la salle de jeu, venue des pays de l’est, qui rêvait de Grèce, échouée là, victime d’un traffic, la traite des blanches. Et dans ce décors de cuisine modeste, on songe au rez-de-chaussée des quartiers populaires napolitains, celle de violette et de sa mère mais aussi celles de tous ces gens modestes, entre télé et soupe iophilisée, Ascanio Celestini et Patrick Bebi, Violette Pallaron, racontent le destin de ces êtres fracassés, les petites gens, « les petits, les obscurs, les sans-grades », ceux qui n’ont et n’auront jamais la parole. C’est drôle par la grâce volubile de ludion de Ascanio Celestini, l’heureuse distance de Violette Pallaro, on rit donc, mais Ascanio Celestini pointe du doigt le tragique de ces vies banales, sans défense et broyées par le système, la religion et le politique. Des vies banales pleines de rêves. L’émotion est bien là qui lentement s’insinue et finit par vous foudroyer au long de ses récits qui n’en sont qu’un, tous reliés par le destin qui fait se croiser ces personnages échoués dans ce super-marché. Pourtant rien de larmoyant. Ascanio Celestini trouve la distance exacte pour ne jamais sombrer dans le misérabilisme. C’est toute la force et la beauté, la poésie de cette création. Un humour dévastateur, jamais gratuit, qui n’est que politesse, tendresse envers ces modestes, toujours dignes dans leur malheur. Un humour qui ouvre par contraste des béances, met le doigt là où ça fait mal, dénonce les dysfonctionnements. C’est une vision de la société lucide, terrible donc, mais un regard empreint d’humanisme. Un théâtre politique et plus que nécéssaire aujourd’hui.

Dépaysement
Texte, mise en scène et interprétation Ascanio Celestini
Avec Violette Pallaro
Interprète  Italien / Français Patrick Bebi
Accordéon  Gianluca Casadei

du 24 février au 12 mars 2017 à 18h30. Relâche les lundis

Théâtre du Rond-Point
Salle Jean Tardieu
2bis av. Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

 

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