Critiques // Démocratie(s) d’Harold Pinter à l’Epée de Bois / Un Automne à Tisser

Démocratie(s) d’Harold Pinter à l’Epée de Bois / Un Automne à Tisser

Oct 28, 2010 | Aucun commentaire sur Démocratie(s) d’Harold Pinter à l’Epée de Bois / Un Automne à Tisser

Critique d’Anne-Marie Watelet

Le Festival Un automne à tisser, à l’Epée de Bois, nous invite à nous pencher sur le thème de la guerre et de l’amour entre les hommes.

Du dysfonctionnement dans les systèmes démocratiques

Démocratie(s) est composé de quelques textes poétiques et dramaturgiques d’Harold Pinter. Cinq comédiens, féminins et masculins assurent les différents rôles. Du Proche-Orient à l’Europe occidentale et centrale, les hommes incarnent des militaires nationalistes, des terroristes, prêtent la voix à des triomphateurs politiques fiers de leurs exactions brutales et humiliantes sur des civils innocents.

Les femmes sont des victimes privées de paroles (et de leur langue d’origine). De la misère et de la torture (stylisée) de la première histoire, on passe à l’élégante légèreté d’hommes régnants, exhibant leur séduction machiste, ou tournoyante dans une valse, une belle aristocrate aux bras. Nous trouvons ici une thématique chère à l’auteur : la misère, la répression, la peur face à l' »expropriation » des droits de l’homme… Tout ce à quoi il assista depuis son enfance, en Union Soviétique et en Europe de l’Est.
« Les limites entre la fiction et la réalité sont floues. » dit H. Pinter.
Les conversations banales des militaires dénotent des rapports de domination physique et psychologique sur de quelconques hères de passage, seuls et sans défense : scène du viol (stylisée), intimidation par la torture. Par l’écriture, Pinter veut transmettre le malaise dû à une communication mise à mal par les abus et corruptions socio-politiques. Répliques brèves, ruptures et répétitions ponctuées de silences, voilà ce que nous réservent les personnages de l’auteur.

La mise en scène à la mesure d’un texte si fortement engagé ?

On sent une belle conviction chez les acteurs tout au long du spectacle, et le plus souvent le ton est juste, leur présence affirmée. Mais alors qu’est-ce qui fait le manque de force sur le plateau ? La provocation de tels messages nous frôle au lieu de nous bousculer. Le metteur en scène n’a-t-il exploité le potentiel des comédiens ? Peu d’émotion, donc, et le travail sur le rythme reste insuffisant. Les transitions entre les « pièces » sont, elles, soignées esthétiquement et dans l’intérêt de la clarté. Notons que le choix du poème Alléluia est judicieux en ce qu’il apporte un éclairage pour le moins concret et dérangeant à l’ensemble. Dans ce poème, des mots obscènes et inattendus sont dits avec une certaine retenue alors qu’ils devraient nous éclater en pleine figure. Et la question est d’importance. Pinter est un de ceux qui la posent : « Qu’est-ce qui est obscène, la réalité ou le langage qui la décrit ? » Des trouvailles scénographiques qui insufflent une belle énergie au texte.

Pour la première fiction : plateau envahi de fumée, grondements des avions, corps qui tombent et se relèvent dans un désordre qui suggère le nombre et la violence. Les décors et les costumes servent également l’action car ils sont justes et simples. Juste ce qu’il faut pour donner la couleur des pays de l’Est, par exemple, avec les tissus chatoyants épars sur le sol, dans une lumière sombrement dorée ; l’habit de militaire ou la tenue de soirée du couple qui danse ne surprennent pas mais sont dans le ton de la pièce, et c’est ce qu’il fallait ici. Toutefois, si le magnifique chant traditionnel du début, la valse ou le tango plus tard, ainsi que certains effets acoustiques trouvent admirablement leur place, nous ne sentons pas l’utilité et le sens des autres accompagnements musicaux trop nombreux, et qui finissent par gêner notre attention et donnent l’impression d’un décor futile.
Il reste que ce spectacle mérite d’être vu et partagé comme démarche – agréable – d’engagement, et comme hommage à l’auteur, décédé en 2008, dont il faut continuer la réflexion sur l’humanité.

Démocratie(s)
De
: Harold Pinter
Par : le Cie La Louve Aimantée
Mise en scène : Florence Bermond
Traduction : Eric Kahane
Scénographie : Yvan Robin
Création lumières et son : Gabriel Galenne et Thomas Veyssière
Avec : Marie-France Alvarez, Arben Bajraktaraj, Simon Masnay, Eric Nesci, Jutta Wernicke

Du 26 au 31 octobre 2010
Dans le cadre du festival
Un Automne à Tisser

Théatre de l’Epée de Bois
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75 012 Paris
www.epeedebois.com

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