Critiques // « De la montagne et de la fin » de Marina Tsvetaeva

« De la montagne et de la fin » de Marina Tsvetaeva

Mar 16, 2011 | Aucun commentaire sur « De la montagne et de la fin » de Marina Tsvetaeva

Critique de Bruno Deslot

Vers le chaos originel !

Marina Tsvetaeva (1892-1941), grande poétesse russe dont la tragédie caractérise la vie, entretient une liaison intense de quelques mois avec Constantin Rodzevitch (1895-1987). De cette histoire passionnée, 31 lettres de Marina adressées à Constantin nous sont parvenues et la comédienne Stéphanie Schwartzbrod en interprète quelques extraits dans l’intimité de la petite salle voûtée de la Maison de la Poésie.

© Béatrice Logeais | Maison de la Poésie

Un fond de scène bâché et maculé d’une peinture blanche étalée à la hâte, permet d’y projeter des photos d’époque : vues de la révolution qui entraîna l’exil, Prague, la Vlatva et les ciels qui la surplombent, personnages évoqués. Stéphanie Schwartzbrod utilise cette toile de fond comme un habillage dramaturgique afin d’illustrer ses propos, de se perdre dans les méandres tumultueux que parcoure son personnage. Après le calme la tempête, ou l’inverse ! Toujours en suspens, Marina est passionnée, dévastée, engagée, égarée… incarne, en somme tous les paradoxes d’une femme bouleversante d’humanité dont la vocation littéraire a été très précoce. Août 1923, sa brève liaison avec Constantin Rodzevitch lui inspire une correspondance aussi brûlante que déchirante, mettant en perspective toute la complexité du personnage, son désir d’aimer, de vivre, d’exister dans un tourbillon existentiel qui l’emporte vers la mort qu’elle se donnera en 1941.
De Berlin à Prague, de Prague à Paris, Marina est en errance dans un monde urbain qui la fascine. Sur un sol maculé lui aussi d’une peinture blanche, Stéphanie Schwartzbrod joue avec le décor du quartier pragois et avec les ponts à cheval sur des rivières de peinture. Les habitations miniatures et faites en carton sont déposées à même le sol côté cour. Le regard de la comédienne sur ce décor de fortune lui permet de prendre de la distance par rapport à ce qu’a vécu son personnage privilégiant ainsi une certaine liberté de forme qui alterne, comme le précise Nicolas Struve, entre « l’esquisse d’une illusion théâtrale : concentration de l’espace sur la parole, travail des lumières, prise en charge par la comédienne de l’énonciation et la quasi annulation de la situation théâtrale : noir total ou plein feu, projection de texte non lu ou à lire par le public. »
Stéphanie Schwartzbrod lumineuse et souriante, tente de s’approcher de Marina 1h20 durant pour mieux dévaler les pentes abruptes de la montagne qui la mèneront jusqu’à la fin. La direction d’acteur est précise, millimétrée, selon l’expression consacrée, mais elle assèche le propos, altère l’ensemble de la proposition. En ne cédant ni à la psychologie ni à la déclamation, les intentions de jeu polissent la matière théâtrale exploitée sous nos yeux et la comédienne est reléguée à un rôle de conteuse. Les ruptures sont marquées par des éclats de voix et un jeu en force qui dénaturent l’essence même du personnage dont il est question. Une gestuelle répétitive et inutile accompagne la parole de la comédienne qui peine à trouver l’émotion, la justesse lui permettant d’atteindre des sommets que lui promet l’intitulé du poème.
Le texte nous parvient tout de même avec beaucoup de fluidité, mais l’ennui s’installe trop rapidement malgré le frisson saisissant que pourrait procurer la magnifique traduction De la montagne que propose ici Nicolas Struve. On est donc bien loin du « chaos originel » même lorsque la comédienne enchaîne avec le poème De la fin (traduction Eve Malleret). Le chemin semble inachevé pour se rendre du texte à la vie malgré les mots violents, révoltés et désordonnés que Nicolas Struve a traduit avec une sensibilité particulièrement touchante.

De la Montagne et de la Fin
De : Marina Tsvetaeva, d’après sa correspondance avec Constantin Rodzevitch (Ed. Clémence Hiver)
Traduction, adaptation et mise en scène : Nicolas Struve
Traduction du « Poème de la fin » : Eve Malleret
Scénographie : Georges Vafias
Lumières : Pierre Gaillardot
Vidéo : Raphaël Récamier et Virginie Térassin
Avec : Stéphanie Schwartzbrod

Du 9 mars au 3 avril 2011

Maison de la Poésie
Passage Molière, 157 rue Saint-Martin, 75 003 Paris
www.maisondelapoesieparis.com

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