Critiques // « De la fragilité des mouettes empaillées » de Matéi Visniec au Théâtre des Variétés

« De la fragilité des mouettes empaillées » de Matéi Visniec au Théâtre des Variétés

Juin 11, 2010 | Aucun commentaire sur « De la fragilité des mouettes empaillées » de Matéi Visniec au Théâtre des Variétés

Critique de Dashiell Donello

Un jeu littéraire

Sous la charpente en bois du petit théâtre des Variétés, en ce mois de juin, il fait chaud. (On verra le pourquoi de ce détail plus loin.)

La pièce de Matéi Visniec est inspirée de La Mouette d’Anton Tchekhov qui elle même avait pris sa source dans deux faits divers : une mésaventure vécue par une amie de Tchekhov qui fut abandonnée par un amant dont elle avait un enfant, et le souvenir d’une mouette blessée que Tchekhov dut achever. C’est un jeu littéraire, nous dit-on.

Histoire d’une révolution jamais terminée

Pour en finir avec le réalisme socialiste Matéi Visniec nous guide dans son musée de la vie. Les pauses et les allusions de son texte sont sans doute encore chargées d’images d’une dictature qui cessa de nuire en 1989. Cela nous mène à une réécriture Tchekhovienne nouvelle. Il aime les surréalistes, les dadaïstes, le théâtre de l’absurde, la poésie onirique, etc. Bref, tout sauf le réalisme socialiste. Il le fait avec une pièce pleine de poésie et une littérature dramatique qui joue, la contrainte était obligatoire dans une Roumanie dictatoriale, avec des restes d’une dissidence allégorique et politique. Il raconta d’ailleurs, dans une de ses poésies, sans que l’on puisse lui reprocher quoi que ce soit, l’histoire d’un bateau qui coule lentement, très lentement, et ceci à la barbe de Ceausescu.

Vestiges d’un monde qui n’existe plus

Les personnages de théâtre survivent à leur auteur. Tchekhov est mort en 1904 pourtant dans le musée du monde que Matéi Visniec nous propose de visiter, Nina revient chez Treplev, un matin à l’aube. Il coupe le bois tout seul, il écrit tout seul, dit-elle. La table n’a pas bougé, ni la terrible horloge qui marque le temps. L’unité de temps prend toute une journée. Il y a les accessoires d’une histoire dans ce musée du passé : le miroir, le carnet de prise de notes, le livre, la lettre, le journal, la mouette empaillée, la neige, les bûches, des pistolets, le petit accordéon de Nina, du sucre, une bouteille de vodka, du tabac, une lampe et un théâtre. Tout est blanc comme neige…

Comme chez Tchekhov, les personnages sont éternellement avides de nouveauté et d’humanité, mais inaptes à accomplir leurs rêves. L’illusion est au centre que ce soit dans la Russie de la fin du XIXe siècle ou bien dans la mouvance de 1917. Un soldat gelé fige la révolution dans la vacuité des choses. La mouette symbole de liberté est une nouvelle fois abattue. L’horloge est arrêtée comme la vie dans un songe.  Ce sont des fantômes. Treplev (Frédéric Constant) ne rêve plus à des formes nouvelles, mais glisse peu à peu dans ses velléités d’écriture. Trigorine (Daniel Martin) se hante lui-même dans une maison hantée. Nina (Isabelle Hurtin) dit je suis un hibou et non plus : je suis une mouette. La servante s’allume pour nous signifier le théâtre. Le musée de cire. Mais dans cette immobilité finale on reste circonspect de la mise en scène d’Isabelle Hurtin qui nous la promettait rythmée et avec beaucoup d’humour. Nous n’avons pas senti, ni entendu cela. Peut-être la chaleur ne nous a pas facilité la tâche ? Les temps pour écouter les bruits de la nature, des animaux, de leur cœur qui bat, ne nous parvenaient pas, malgré notre concentration torride. Par contre on n’a bien entendu un comédien dire : il fait chaud ! Pour comprendre l’âme humaine, il nous faut de l’humanité tout simplement. Comme dans ce beau texte de Matéi Visniec.

De la fragilité des mouettes empaillées
De : Matéi Visniec
Mise en scène : Isabelle Hurtin
Assistant artistique : Thomas Cousseau
Lumières et scénographie :  Jean-Marc Hennaut
Création musicale : François Couturier et Jean-Marc Larché
Avec : Daniel Martin,, Isabelle Hurtin, Frédéric Constant, Mathieu Lefranc

Du jeudi 10 juin au dimanche 20 juin 2010

Théâtre des Variétés
7 bd Montmartre, 75 002 Paris
www.theatre-des-varietes.fr

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