fff article de Denis Sanglard
Eun-Me Ahn signe avec Dancing TeenTeen, comme elle le fit avec Dancing Grand Mothers – de nouveau représenté, nous y reviendrons – une chorégraphie pimpante, pop et colorée et bien plus grave, bien plus politique, qu’il n’y parait. C’est un portrait en creux de la jeunesse coréenne qui explose sur une scène métamorphosée en dance-floor aux couleurs acidulées. Des jeunes qui soudain se révèlent. Le corps, l’énergie, enfin libérés, sans contrainte autre que cette consigne « soyez vous-même ». Ce qu’ils dansent avec tant d’exubérance, résumé en un prologue mutin par Eun-Me Ahn elle-même, n’est rien d’autre que ce qu’ils souhaitent être, de ce qu’ils sont au fond d’eux-mêmes. De ce qu’ils aimeraient refuser. Loin des attentes oppressantes de la société coréenne, de ses codes, de sa culture. Ce qu’ils expriment tout soudain là, spontanément, c’est leur propre identité sans fard. Une danse sauvage, brute, reflet de celle de leurs idoles, pop star ou boys et girls band. Danse urbaine, ça rappe, ça hip-hop, ça pop… C’est tout ça à la fois, sans restriction. Une danse influencée par les médias, mais avalée avidement comme exutoire à un monde devenu compétitif. Le corps, ce qui échappe momentanément à la société toujours inquiète de ses adolescents, de ce territoire mouvant, est enfin libre. L’énergie, le souffle, les propulsent sur un territoire intime, connu d’eux seuls qui échappent, le temps d’une danse, aux adultes. Eun-Me Ahn leur permet juste ça, d’exprimer par le corps ce qui échappe à l’éducation donnée. Ils sont gauches parfois, spontanés toujours et c’est ce qui donne à cette création son sel et sa fraîcheur. Et son importance. Rien ne semble acquis. Tout reste fragile. Alors quand les danseurs de la compagnie qui ouvrent ce bal, chorégraphie copiée-collée de ce qui va suivre, comme pour acter d’une danse d’importance, s’effacent pour laisser la place à ces adolescents, d’abord filmés dansant dans leur environnement urbain, sans musique pour n’entendre que le corps et son mouvement, c’est stupéfiant de découvrir leur énergie, même dans la gêne de soudain se dévoiler et se mettre à nu, de découvrir combien ils appartiennent à un monde qui n’est décidemment pas celui des adultes, combien ils leur échappent le temps d’une danse qui n’appartient qu’à eux seuls. Un espace de liberté inouïe concentré en quelques mouvements basiques. Tous ont peu ou prou la même signature, les mêmes influences. Et quand ils déboulent enfin sur le plateau, d’abord pour juste d’une phrase exprimer timidement un souhait, un désir ou faire un constat, ils sont tout simplement bouleversants. Ce n’est pas de la naïveté, c’est du rêve. Et de ces rêves Eun-Me Ahn en fait matière. Avant chacun de s’emparer d’un oreiller, confident et objet de bataille mémorable, signature d’un entre deux entre enfance et adolescence, sans doute donc moins rebelle qu’on ne l’imaginait. Mais quand ils dansent enfin, c’est le portrait d’une génération qui vous saute à la figure. Ce n’est pas la révolution ni une rébellion mais un moment précieux où soudain quelque chose se révèle, infiniment précieux, un corps qui danse et s’ébroue, libre enfin, se détache un court instant de la société qui l’oblige et c’est tout un pays qui vacille.
Dancing Teen Teen
Chorégraphie, mise en scène, création décors & costumes Eun-Me Ahn
Composition, Youggyu Jang
Conseil artistique, Chun Wooyong
Costumes, Yunkwan Design
Lumières, Jang Jinyoung
Vidéo, Tae Suk Lee
Film, Jiwoong Nam, Taeseok LeeAvec Eun-Me Ahn, Wan Young Jung, Hyung-Kyun Ko, Nam Hyun Woo, Youngmin Jung, Si Han Park, Hyekyoung Kim, Jihye Ha, Ee Sul Lee, Ki Bum Kim, Hyo Sub Bae
Et les adolescents Yeon Joo Lee, Jina Lee, Chae Yun Cho, Jiyoung Kim, JIEun Park, SeungGyu Park, Ji Eun Wang, InHa Kang, HaeJin Kim, Eunsol Kim, Seeung Bin Eun, DaEu Ko, Ye Seul GwonLes 23 & 25 septembre 2015 à 20h30
Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet – 75001 Paris
M° Châtelet
Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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