Critiques // « Cymbeline » de Shakespeare mis en scène par Bernard Sobel à la MC93

« Cymbeline » de Shakespeare mis en scène par Bernard Sobel à la MC93

Mar 09, 2010 | Aucun commentaire sur « Cymbeline » de Shakespeare mis en scène par Bernard Sobel à la MC93

Critique de Monique Lancri

Résumer Cymbeline en quelques lignes serait une gageure : nous ne nous y risquerons pas. Disons simplement que si la pièce porte ce nom, qui est celui du roi de Bretagne, c’est que ce roi, bien que falot et dominé par sa mégère de seconde épouse, constitue le pivot autour duquel s’ordonnent les innombrables péripéties de la pièce. C’est lui qui exile Posthumus, le mari roturier de sa fille Imogène, et c’est lui qui persécute ensuite cette dernière ; c’est encore lui qui, jadis, a banni Belarius et c’est aussi lui qui est à l’origine de la guerre avec les romains ; etc., etc. Au dénouement, débarrassé de son horrible femme, Cymbeline ouvre enfin les yeux et recouvre raison, dignité et générosité.

L’appel du large

Pour une pièce aussi riche en aventures, en rebondissements, en déplacements spatiaux et temporels (de la Bretagne à l’Italie, de l’intimité domestique d’une chambre à coucher à celle, rupestre, d’une caverne dans une montagne, etc.), Bernard Sobel et Estelle Gautier, sa scénographe, ont choisi un espace que l’on pourrait dire XXL : étiré en longueur sur plus d’une trentaine de mètres. Les spectateurs se font face, de part et d’autre de cet espace scénique. Un immense tissu rouge plus ou moins froissé est disposé, en tapis, sur toute la longueur du plateau ; quand commence le spectacle, ce tissu s’anime ; il glisse vers les coulisses, tiré comme on tirait autrefois les rideaux qui masquaient la scène ; il suffit pour nous faire savoir que toutes les localisations (caverne, chambre à coucher ou autre) se feront ici au sol, à partir d’un système de trappes. Le plateau demeurera nu. Point de décor. Peu d’accessoires, parfois volontairement anachroniques (ainsi une très moderne valise pour signifier le voyage), et tout fonctionne parfaitement. Dans un entretien donné au journal La Terrasse, Bernard Sobel dit très justement : «  Shakespeare est le régisseur : il crée le décor, la bande son, les accessoires …Tout est dans le poème. Il s’agit de le suivre, d’en faire le moins possible pour montrer qu’il fait tout ». Ajoutons, avec Jacques Rancière (dans Le spectateur émancipé ): aux spectateurs aussi de jouer leur rôle , « rôles d’interprètes actifs, qui élaborent leur propre traduction pour s’approprier l’histoire et en faire leur propre histoire. »

Un poème, un conte haletant comme un Thriller

Car il s’agit bien d’une histoire, tissée à même le corps de la grande Histoire, et dans laquelle chacun peut faufiler la sienne : les spectateurs comme les comédiens. La troupe est jeune. Son juvénile enthousiasme n’a d’égal que son dynamisme. Non seulement le rythme ne faiblit jamais mais il s’accélère  pendant une dizaine de minutes vers la fin lors de prouesses de diction qui relèvent de la virtuosité. Nous ne sentons guère passer les trois heures de spectacle. Il faut dire que l’intrigue concoctée par Shakespeare n’est déjà pas faite pour laisser notre attention retomber. Nous allons de coups de théâtre en coups de théâtre, de surprises en surprises, de masques en masques. Le thème du déguisement, si cher à Shakespeare, est d’ailleurs exploité à fond par cette mise en scène. Bernard Sobel n’hésite pas à recourir à la surenchère : des vieillards sont joués par de très jeunes gens, des filles tiennent le rôle de garçons et même, travestissement suprême (moins surprenant qu’il n’y paraît d’abord), Posthumus et Cloten (soit les deux amoureux d’Imogène) sont joués par le même acteur! Bernard Sobel fait toujours en sorte que nous n’oublions jamais que nous sommes au théâtre ; les clins d’œil se multiplient :les épées de bois, le sanglier de chiffons rapporté de la chasse, la tête peu réaliste de Cloten brandie sur scène, tous ces accessoires, des plus sanglants jusqu’aux plus dérisoires, font rire. A un autre moment, un mort sans tête se relève pour regagner les coulisses puisque son rôle est fini. Et, lors du dénouement qui se joue en accéléré, les acteurs jettent sur la scène les feuilles sur lesquelles leur rôle est écrit au fur et à mesure que leur texte est prononcé.

Difficile d’isoler un élément de la troupe tant celle-ci se montre homogène en qualité ; signalons pourtant les prestations d’Imogène et de Cloten ; saisissante aussi la composition de Iachino, d’une fourberie dans la séduction voisine de celle d’un Iago ou d’un Richard III. Difficile car, tous excellents, les acteurs semblent beaucoup s’amuser à jouer ensemble. Leur plaisir s’avère vite contagieux, et la pièce, si complexe à la lecture, apparaît ici nimbée de limpidité : grâce à eux. Ces jeunes gens sont traversés par la théâtralité inhérente à la langue de Shakespeare, galvanisés par une théâtralité fort bien rendue, en outre, dans la traduction de Jean-Michel Desprats.

Bref, une soirée qui réchauffe agréablement, dans cet hiver parisien et pourtant si martien !

Cymbeline
De : Shakespeare
Texte français : Jean-Michel Déprats
Mise en scène : Bernard Sobel
Collaboration à la mise en scène : Sophie Vignaux
Assistanat à la mise en scène : Mirabelle Rousseau
Scénographie : Estelle Gautier
Lumières : Matthieu Durbec
Son : Bernard Valléry
Création costumes : Irène Bernaud, Lauréline Démonet
Réalisation costumes : Karelle Durand
Avec : Giédré Barauskaite, Olivier Bernaux, Clément Carabédian, Sébastien Coulombel, Thomas Fitterer, Damien Houssier, Mélanie Jaunay, Marie-Cécile Ouakil, Aurore Paris, Olivier Pilloni, Yasmina Remil, Colin Rey, Marie Ruchat

Du 8 au 30 mars 2010

MC93 Bobigny
1 boulevard Lénine, 93000 Bobigny
www.mc93.com

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